JEAN HERBERT ET SRI AUROBINDO
Présentation aux préfaces de Jean Herbert
Après que Shrî Aurobindo m'eut
accepté comme disciple en 1935, il m'a permis de traduire en français et de
faire traduire dans d'autres langues tout ce que je voudrais de son immense
œuvre écrite, autorisation qu'il avait jusqu'alors constamment refusée. En
français il est ainsi paru à ce jour une douzaine de volumes de ses écrits
philosophiques et yoguiques.
Jean Herbert , préface de La vie divine
Jean
Herbert fût un disciple de Sri Aurobindo et le traducteur officiel de
son œuvre. Il accomplît la tâche ardue de traduire en français l’œuvre
du Maître de Pondichéry et eut l'autorisation par Sri Aurobindo
lui-même de le faire, comme en témoigne cet extrait de la préface à La
vie divine :
Lorsque
Shrî Aurobindo posa sa main sur ma tête, il me donna ce que tout vrai
grand Maître donne lors de l'initiation : montrer la voie précise à
suivre, inspirer un désir intense de le faire et transmettre la force
nécessaire. Sans doute fit-il aussi ce qui est plus exceptionnel,
assurer que pendant le reste de ma vie je sois placé dans les
conditions, matérielles et autres, les plus favorables pour m'acquitter
de la tâche qu'il m'avait assignée.
Grâce
à son travail l’œuvre de Sri Aurobindo put être accessible en français
et diffusée pour les lecteurs francophones à travers la collection Spiritualité Vivantes que Jean Herbert avait lui-même fondé. Pendant longtemps la traduction en français de l’œuvre majeur de Sri Aurobindo La vie divine
faite par Jean Herbert fût la seule disponible , et pour en avoir
personnellement parcouru plusieurs, est à ce jour la seule qui soit la
plus fidèle au sens du texte original.
Les
préfaces de Jean Herbert concernant chacun des ouvrages sur la
transmission de l'oeuvre de Sri Aurobindo sont une extraordinaire
synthèse de tout son enseignement, que Jean Herbert a su habilement
porter à l’intelligence du lecteur. La préface de Métaphysique et psychologique est à ce titre la plus complète et la plus pertinente à mon sens pour saisir l'ensemble de l’œuvre, ce que nous comprenons au regard de ce qu'il nous en dit dans une des ses préfaces:
Dans
les pages qui suivent, comme dans ma préface à Métaphysique et
Psychologie, j'ai essayé de résumer, dans ses propres paroles, ce que
j'ai pu assimiler de cet enseignement qu'il m'a donné, directement ou
indirectement, par écrit, ou le plus souvent par des moyens plus
subtils.
L'ouvrage lui-même est un excellent outils facile d'accès de part sa compilation extrêmement fournie et remarquablement classé en thématiques abordant de nombreux sujets sur la connaissance de l'univers, de la spiritualité , et de la vie dans de nombreux champs que Sri Aurobindo avait exploré.
Dans l’ensemble,
ces préfaces sont une excellente manière d'entrer
en la matière pour comprendre, saisir et assimiler l'essentiel du
message de Sri Aurobindo. Elles sont restituées ici dans toute leur
intégralité. Notons que Jean Herbert, en toute humilité, ne s'octroyait
pas toutes les prérogatives en ce domaine, ce qu'il précise dans la
préface La pratique du yoga intégral:
Si
d'autres disciples apportent leur témoignage comme je l'ai fait, sans
doute ne mettront-ils pas toujours l'accent sur les mêmes points, mais
sur l'essentiel il ne saurait guère y avoir de divergence.
Soulignons pour conclure que Sri Aurobindo révisât lui-même la plus grande partie des traductions effectuées par Jean Herbert. Puisse la mise en ligne de ces préface être comme un hommage rendu à Jean Herbert et à son admirable travail de traducteur.
Soulignons pour conclure que Sri Aurobindo révisât lui-même la plus grande partie des traductions effectuées par Jean Herbert. Puisse la mise en ligne de ces préface être comme un hommage rendu à Jean Herbert et à son admirable travail de traducteur.
LA VIE DIVINE -Préface-
La Vie
divine est l'œuvre essentielle de Shrî Aurobindo sur la métaphysique.
Celle-ci repose chez lui sur son interprétation de ce qu'il appelle «
l'ancien Vedanta », c'est‑à-dire essentiellement le Rig-Véda et les plus
anciennes des Upanishads, à quoi il ajoute la Bhagavad-Gitâ (1).
Mais elle ne s'appuie pas sur une simple analyse des textes ; c'est
grâce aux expériences spirituelles par lesquelles il est lui-même passé
qu'il redécouvre « la Lumière de l'antique et éternelle vérité conservée
pour nous dans les Écritures védantiques », ces «artères de
connaissance suprême, indicatrices d'une suprême discipline», et
l'explicite au point de la compléter.
Shrî
Aurobindo ne rejette cependant aucun système religieux, philosophique
ou scientifique, spiritualiste ou matérialiste, ancien ou nouveau,
hindou ou occidental. En eux tous il reconnaît des descriptions
authentiques, mais partielles et «complémentaires comme le sont tous les
opposés » de la vérité vue sur différents plans de conscience et sous
différents jours.
«Toutes les vérités, même celles qui semblent être en conflit, ont leur validité, mais il faut qu'elles soient conciliées en quelque Vérité plus vaste qui les intègre en soi; toutes les philosophies ont leur valeur... toutes les expériences spirituelles sont vraies ».
«Toutes les vérités, même celles qui semblent être en conflit, ont leur validité, mais il faut qu'elles soient conciliées en quelque Vérité plus vaste qui les intègre en soi; toutes les philosophies ont leur valeur... toutes les expériences spirituelles sont vraies ».
Il ne nie pas, comme le font les bouddhistes et les advaïtistes, la réalité du monde dont nous avons l'expérience.
«Le phénomène n'est point phantasme, le phénomène est la forme substantielle d'une vérité».
« Le monde n'est pas irréel au sens d'être dépourvu de toute existence ; car si même il n'était qu'un rêve du Moi, il existerait encore en lui comme rêve». Il est «une réalité dérivée et conditionnelle ».
«Le phénomène n'est point phantasme, le phénomène est la forme substantielle d'une vérité».
« Le monde n'est pas irréel au sens d'être dépourvu de toute existence ; car si même il n'était qu'un rêve du Moi, il existerait encore en lui comme rêve». Il est «une réalité dérivée et conditionnelle ».
Il
ne rejette même pas l'explication matérialiste de la genèse de ce
monde, genèse dans laquelle la matière est apparue la première, pour
être suivie ensuite par la vie, puis par le mental. «La matière, dans
notre monde, est la base et le commencement apparents ; dans les termes
de l' Upanishad, Prithivî, le principe Terre, est notre base. L'univers
matériel part de l'atome formel surchargé d'énergie... De cette Matière
se manifeste la Vie apparente et, par le moyen du corps vivant, elle
libère le Mental.»
Mais
Shrî Aurobindo ne nie pas non plus, comme le font les matérialistes, la
vision spiritualiste de la nature, du monde et de sa genèse. Pour lui,
les deux théories peuvent être considérées «comme les éléments
complémentaires formant une seule vérité».
Entre
la nature matérielle et le Divin sous ses divers aspects — y compris
l'Absolu — l'âme individuelle, la pensée, entre les lois qui nous
apparaissent comme régissant le monde et ce qui nous parait leur
échapper, entre notre logique humaine et ce que l'on pourrait appeler
une logique divine, entre l'unité et la multiplicité, il perçoit une
continuité dans une parfaite harmonie.
C'est
un corollaire de cette attitude que les oppositions jugées
irréconciliables entre des couples de termes tels que l'Absolu et le
Relatif, l'Esprit et la Matière, la Vie et la Mort, la Connaissance et
l'Ignorance, correspondent en fait à des visions d'une même réalité sur
(les plans différents et sous les éclairages différents ou à des
stades différents de manifestation.
Pour
Shrî Aurobindo selon la conception traditionnelle hindoue, il y a «
l’origine » non-temporelle du monde, l’Absolu non-différencié (nirguna Brahman)
et Sa Puissance de manifestation, Mâyâ, Shakti, qui, pour lui, n'est
autre que Son aspect dynamique, Sa « force d'être qui manifeste son
propre pouvoir en action ». C'est pourquoi, comme la Bhagavad-Gitâ, il
admet, coiffant celle dualité première, au-dessus de l'Absolu et de la
manifestation « à la fois au-delà de l'unité et de la multiplicité »,
une entité primordiale, le Purushottama à la fois un et multiple, actif
et non-actif, à la fois Être et Devenir.
Il
n'envisage pas la création comme le font les chrétiens. « Nous pouvons
parler de création en ce sens seulement que l’Etre devient en forme et
en mouvement ce qu'il est déjà en substance et en état. » On peut
comparer la création à partir de l'Unique à un acte de courage émanant
d'un homme courageux ou à une guérison provoquée par l’utilisation d'une
plante médicinale.
Le mobile de la création est la Félicité suprême, l'Ananda.
Le
premier stade, qui n'est qu'une projection de l'Un dans le multiple, en
est le triple-en-un Existence-Conscience-Béatitudes suprêmes
(Sachchidânanda), « en qui n'est nulle distinction séparatrice » et qui
constitue les trois registres supérieurs :
Sat (existence), Chit (conscience) et Ananda (béatitude).
Sat (existence), Chit (conscience) et Ananda (béatitude).
Dans
le monde tel que nous le connaissons, on trouve aussi trois registres
que l'on peut considérer comme des manifestations ou descentes à un
niveau inférieur des trois registres supérieurs. Ce sont le plan
matériel, le plan vital et le plan mental, qui d'ailleurs
s'interpénètrent sur une grande partie de leurs étendues respectives.
Le
passage des trois plans supérieurs aux trois plans inférieurs ne peut
toutefois pas s'effectuer sans un « chaînon intermédiaire ». C'est un
septième plan, le plan supramental ou « Gnose divine ». Et même entre ce
dernier et les plans inférieurs il faut encore un intermédiaire. C’est
le Surmental, qui «procède par une illimitable faculté de séparation et
de combinaison entre les pouvoirs et aspects de l’Unité intégrale
indivisible »; ce Surmental est le domaine des dieux que connaissent les
diverses religions et qui « ne sont que des représentations limitées,
des noms des personnalités divines de l'unique Ishvara ».
Du
fait que les plans supérieurs sont descendus dans les plans inférieurs
et les ont constitués, il résulte qu'ils s'y sont « involués », qu'ils y
existent potentiellement en une « latence ineffable ». Et par
conséquent ils peuvent, en sens inverse, en « évoluer ». « L'être, la
conscience, la force, la substance descendent et montent le long d'une
échelle aux nombreux échelons ». Le but de la création est précisément
la remontée de ces plans inférieurs vers les plans supérieurs ou plutôt
l'émergence en eux de ces derniers. En commençant par l'accès au plan
supramental.
A
côté de ces divers plans qui s'échelonnent les uns par rapport aux
autres, nous avons aussi l'âme, «entité psychique subliminale », «
flamme du Divin toujours allumée en nous », « impérissable en nous de
naissance en naissance », et dont la « floraison » sur les trois plans
inférieurs joue un rôle capital dans le yoga, car c'est elle qui donne «
le saint, le sage, le voyant » — même si le stade atteint par eux n'est
pas celui que Shrî Aurobindo considère comme le stade final.
C'est cette «âme» qui, comme l'admet la tradition hindoue multimillénaire, s'incarne successivement dans des corps différents.
«
Nos corps périssent, mais les âmes avancent de naissance en naissance
au long des âges, notre «personnalité superficielle construite» n'étant
qu' «une expression temporaire de notre être en soi, une forme
changeante de lui ».
Pour
compléter ce tableau déjà si complexe, il faut encore ajouter ce que
Shrî Aurobindo appelle en nous d'un terme général, le « subliminal »,
dans lequel nous avons « un mental intérieur, un vital intérieur, un
être physique subtil ou intérieur plus vastes que notre être et notre
nature extérieurs ». Il est «en rapports directs avec la conscience
universelle... derrière le voile de la personnalité de veille limitée ».
Il est à l'origine d'inspirations d'intuitions, d'impulsions, et l'on y
accède dans la concentration intérieure, l'extase et parfois même le
rêve.
Le
fait que ces divers plans ne sont pas isolés les uns des autres, que
chacun d'eux est imprégné de ceux qui le précèdent ou l'accompagnent et à
son tour imprègne ceux qui l'accompagnent ou le suivent, le fait aussi
que l'ascension depuis la matière jusqu'au Supramental est conditionnée
et rendue possible — et même inévitable — par la descente depuis le
Supramental jusqu'en la matière font que chaque plan ne peut pas être
considéré autrement que dans ses rapports avec les autres. Par ailleurs,
chacun comporte une multitude d'aspects ou de niveaux entre lesquels il
n'est pas possible de tracer une ligne de démarcation aussi nette que
notre intelligence humaine le souhaiterait. Si l'on se heurte déjà à ce
genre de difficultés lorsqu'on veut décrire un élément et un événement
de la nature dont nous avons l'expérience, il ne faut pas s'étonner que
ces difficultés soient infiniment plus graves lorsqu'on veut décrire
l'ensemble du monde visible et invisible, son origine et son
fonctionnement.
Puisque
l'homme est l'être le plus développé sur le plus haut des trois plans
inférieurs, le plan mental, c'est lui qui semble le mieux qualifié pour
manifester le Supramental, pour réaliser « la suite encore celée de ce
chapitre inachevé de l'évolution ». Dans l'ordre naturel des choses, le
Supramental devra en effet émerger du mental comme le mental a émergé de
la vie, la vie de la matière. Et l'étape suivante dans l'évolution doit
être celle où le Mental, l'élément supérieur de la trinité inférieure, «
libérera le Supramental qu'il recèle en son fonctionnement »,
c'est-à-dire où nous accéderons à la conscience des plans supérieurs,
tout en restant dans notre monde actuel.
C’est
le but du yoga de Shrî Aurobindo, et si l'homme n’y parvient pas, il
faudra qu'apparaisse dans notre monde un autre être qui dépassera
l'homme comme l'homme a dépassé l'animal, l'animal la plante et la
plante le minéral. Car « nous ne pouvons pas ordonner à la nature de
s'arrêter à tel stade de son évolution », et « si l'homme n'est pas
l'instrument divin... de même qu'il a détrôné toutes les autres
existences terrestres... un autre devra le remplacer et assumer sa
succession ».
Mais
cela est possible à l'homme, car si le Supramental « nous semble situé
sur des sommets bien au-dessus de nous, ce sont néanmoins les sommets de
notre être propre et accessibles à nos pas ». Et tel est en réalité
notre secret désir, car
« le Divin intérieur ne saurait en fin de compte se contenter de rien moins que d'une harmonie combinant en elle le développement intégral de nos multiples potentialités». « L'idéal de la vie humaine ne peut être seulement de répéter l'animal à un plus haut échelon de mentalité ». Il y a d'ailleurs des sages qui sont parvenus au delà même du Supramental, jusque sur le plan de Sachchidânanda, et Shrî Aurobindo le disait par exemple de Ma Ananda Moyî.
« le Divin intérieur ne saurait en fin de compte se contenter de rien moins que d'une harmonie combinant en elle le développement intégral de nos multiples potentialités». « L'idéal de la vie humaine ne peut être seulement de répéter l'animal à un plus haut échelon de mentalité ». Il y a d'ailleurs des sages qui sont parvenus au delà même du Supramental, jusque sur le plan de Sachchidânanda, et Shrî Aurobindo le disait par exemple de Ma Ananda Moyî.
Celui
qui pratique le yoga de Shrî Aurobindo ne peut donc pas se contenter de
rechercher la «libération» à l’indienne, cet « idéal médiocre d'une
évasion hors du tourment de la souffrance de la naissance physique ». Il
travail moins pour lui-même que pour l'humanité — ou, plus exactement,
pour le Divin, reprenant ainsi la tradition de « la révélation védique
première où le salut individuel est considéré comme un moyen vers une
grande victoire cosmique ».
Dans
ce yoga, le yogin ne doit d'ailleurs pas se réfugier dans la
méditation, si authentiques que soient les états sublimes auxquels elle
fait accéder. Elle est certes indispensable pour découvrir et libérer
progressivement de se apparences le véritable Moi, base statique de
notre vie dynamique. Mais « l'homme... ne devient parfait que lorsqu'il a
trouvé en lui-même ce calme, cette passivité absolue du Brahman et
qu'il en soutient, avec la même tolérance divine et la même divine
béatitude, une libre et inépuisable activité », l'action n'ayant «nul
effet [limitatif] sur l'entité psychique au-dedans de nous ».
Celle
allusion à «l'entité psychique » nous ramène à l'équation classique
hindoue Atman = Brahman, «le microcosme est un avec le macrocosme ».
« Brahman la Réalité apparaît dans l'existence phénoménale comme le Moi de l'individu vivant ». Par conséquent les mêmes plans existent et agissent dans l'univers comme chez l'homme individuel. Cette identité de base dans le domaine de l'unité n'exclut évidemment pas le domaine de là multiplicité — qui est réel — où « chaque chose et chaque être ont leur forme d'être essentiel et leur forme de nature dynamique, svarûpa, svadharma». Il y a donc en fait des rapports entre les individus, entre l'individu et la Nature, entre l'individu et le Divin.
« Brahman la Réalité apparaît dans l'existence phénoménale comme le Moi de l'individu vivant ». Par conséquent les mêmes plans existent et agissent dans l'univers comme chez l'homme individuel. Cette identité de base dans le domaine de l'unité n'exclut évidemment pas le domaine de là multiplicité — qui est réel — où « chaque chose et chaque être ont leur forme d'être essentiel et leur forme de nature dynamique, svarûpa, svadharma». Il y a donc en fait des rapports entre les individus, entre l'individu et la Nature, entre l'individu et le Divin.
En
fait, ces distinctions, aussi complexes que subtiles, ne sont pas
seulement théoriques. Dans le yoga de Shrî Aurobindo, elles revêtent une
utilité pratique considérable, car les disciples arrivent à percevoir,
presque visuellement, chaque plan et ses multiples subdivisions et
savent ainsi exactement sur quoi ils doivent agir pour corriger,
harmoniser ou développer.
Si
notre logique habituelle, cartésienne, bouddhique ou autre, convient
pour l'étude du monde matériel, elle est déjà beaucoup moins appropriée à
l'étude du monde mental et elle doit être considérablement prolongée,
élargie et assouplie pour se mettre à l'échelle des problèmes
métaphysiques qui relèvent essentiellement de perceptions spirituelles.
Cela est d'autant plus nécessaire dans l'étude des exposés de Shrî
Aurobindo que celui-ci s'attache constamment à démontrer la
complémentarité essentielle et indissoluble d'éléments ou de rapports
que nous considérons habituellement comme contraires ou incompatibles —
alors que la tradition védântique, notamment lorsqu'elle s'exprime en
termes de mythologie, admet des relations qui n'ont rien de linéaire.
Agni, disent les Écritures, est le fils des dieux, et il en est aussi le
père. C'est pourquoi Shri Aurobindo a volontiers recours à une
terminologie sanskrite, donnant d'ailleurs à chaque terme une
signification à la fois plus vaste et plus précise, et aussi beaucoup
plus profonde, que celle qu'y ont vue nos orientalistes.
De
plus, l'utilisation que fait Shri Aurobindo des termes de base :
Brahman, Ishvara, Purusha et Prakriti, Mâyâ, Shakti, Atman, est à la
fois souple et différenciée. Souple parce que, tout en attribuant à ce
que représente chacun d'eux une place et un rôle extrêmement précis, il
insiste sur le fait qu'à certains points chaque entité se fond dans une
ou plusieurs autres. Différenciée parce qu'il distingue non seulement,
comme il est de tradition, entre le Brahman sans attributs (nirguna) et le Brahman, avec attributs (saguna)
mais aussi entre la Prakriti inférieure et la Prakriti supérieure,
entre Mâyâ force de connaissance et la Mâyâ force d'ignorance, etc.,
selon les divers rôles complémentaires et simultanés que joue
inévitablement chacune de ces entités.
Une
fois surmontés ces obstacles inhérents à la présentation de tout
système métaphysique qui ne veut pas fais entrer de force toute la
Réalité dans les cadres rigides de notre logique formelle, on se rendra
compte que la vision de Shrî Aurobindo est à la foi complète, cohérente
et convaincante et qu'elle écarte les dilemmes auxquels nous avons
coutume de nous heurter dans notre pensée et dans notre vie.
Mais
pour Shrî Aurobindo, la métaphysique, quelque importance qu'il y
attache, a toutefois pour principal intérêt qu'elle fournit une base
sûre à son yoga. Vue dans l'expérience vécue, elle indique à la fois les
possibilités d'évolution de l'individu, de la race et de l'univers, le
cheminement de cette évolution et les techniques à appliquer pour s'y
associer.
Shrî
Aurobindo attend de ses disciples connus ou inconnus, présents et à
venir, qu'ils apportent leur contribution à cette évolution,
c'est-à-dire, pour préciser sa pensée et employer sa terminologie, à la
descente du Supramental dans notre monde. A cette fin, il a pendant de
longues années entretenu avec ses disciples une correspondance
volumineuse(2) dans
laquelle il donne des instructions. Celles-ci sont tantôt générales,
tantôt destinées à un disciple donné à un moment donné ; comme il est de
règle chez tout grand maître, ces instructions varient en effet selon
le circonstances, de même que les ordonnances d'un médecin varient selon
ses patients et leurs maladies. Cependant le but reste le même et la
ligne générale comporte des éléments permanents, essentiellement de
s'ouvrir à la Mère Divine pour qu'elle descende en nous et nous permette
ainsi d'orienter et d'accélérer notre évolution. Mais aussi de combiner
la vie active et la vie contemplative : « Le fait de rechercher, et
éventuellement d'atteindre une vision de moi du monde différente de
celle dans laquelle nous agissons actuellement n'est ni une raison, ni
une excuse pour nous abstenir d'agir. »
La Luciole, novembre 1972
JEAN HERBERT.
(1) Voir les deux ouvrages suivants de Shrî Aurobindo : La Bhagavad- Gîtâ (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1970) et Trois Upanishads, Ishâ, Kena, Mundaka (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1972).
(2) Les recueils suivants ont été publiés en français: Le Guide du Yoga (Paris, Albin Michel, édition de poche, 1970) et Lettres, 3 vol. (Paris, Adyar, 1950, 1952 et 1958).
LE GUIDE DU YOGA –Préface-
Du
fond de sa retraite, dans son Ashram de Pondichéry, Shrî Aurobindo,
l'homme en qui Romain Rolland a salué « le plus grand penseur de l'Inde
d'aujourd'hui », dirigeait un grand nombre de disciples de toutes races,
de toutes religions, de tous âges, se consacrant entièrement au
développement spirituel tel que le concevait le Maître. Aux questions
nombreuses et infiniment variées posées constamment par tous ces
disciples, Shrî Aurobindo répondait toujours par des explications et
des instructions précises, envoyées dans des lettres personnelles. Bien
que toutes ces indications fussent données spécifiquement pour le
disciple qui les demandait à titre individuel, beaucoup d'entre elles
ont cependant une portée suffisamment générale pour qu'on ait jugé utile
de les publier. C'est ainsi que quatre récents volumes de Shrî
Aurobindo: « The Riddle of the World » (1933), « Lights on Yoga » (1935), « Bases of Yoga » (1936) et « More Lights on Yoga » (1948)
sont des recueils d'extraits de ces lettres aux disciples. Dans chaque
cas, les extraits ont été choisis et groupés par l'auteur de manière à
former un ensemble.
Dans
« The Bases of Yoga », dont nous donnons une traduction complète faite
par La Mère et approuvée par l'auteur, sont traités plus
particulièrement certains problèmes immédiats devant lesquels se
trouvent un jour ou l'autre tous ceux qui veulent pratiquer un vrai
yoga.
Dans
« Lights on Yoga », dont nous donnons ci-après une traduction complète
par Lizelle Reymond et Jean Herbert (revue et approuvée par l'auteur
lui-même), Shrî Aurobindo expose les principes fondamentaux,
métaphysiques et psychologiques, du but que l'on propose et du chemin
que l'on suit dans son Yoga.
« More Lights on Yoga », dont la traduction a été faite par Jean Herbert, vient compléter « Lights on Yoga ».
Il faut rapprocher du présent recueil les trois volumes de « Lettres » de Shrî Aurobindo récemment publiés (1).
Nous
avons mis en tête de ce volume l'étude de Sj. Nolini Kanta Gupta qui
servait d’introduction aux premières éditions françaises de « Les Bases
du Yoga ». Celle étude, revue et approuvée par Shrî Aurobindo, a été
traduite en français par Suryakumari.
Comme
dans l'original anglais, nous avons été obligés de conserver dans le
texte un certain nombre de termes sanskrits parce qu'ils n'ont pas
d'équivalents dans les langues européennes. Le lecteur se familiarisera
sans doute facilement avec ceux qui reviennent le plus souvent, sâdhanâ
et sâdhak, ânanda, prakriti et purusha, gunas.
Les
deux glossaires de « Lights on Yoga » et de « The Bases of Yoga » ont
été fondus en un seul. Les termes figurant dans « More Lights on Yoga » y
ont été ajoutés.
Jean Herbert.
(1) Traduction par Jean Herbert. Paris, Adyar.
Lorsque
Shrî Aurobindo posa sa main sur ma tête, il me donna ce que tout vrai
grand Maître donne lors de l'initiation : montrer la voie précise à
suivre, inspirer un désir intense de le faire et transmettre la force
nécessaire. Sans doute fit-il aussi ce qui est plus exceptionnel,
assurer que pendant le reste de ma vie je sois placé dans les
conditions, matérielles et autres, les plus favorables pour m'acquitter
de la tâche qu'il m'avait assignée.
Dans
les pages qui suivent, comme dans ma préface à Métaphysique et
Psychologie, j'ai essayé de résumer, dans ses propres paroles, ce que
j'ai pu assimiler de cet enseignement qu'il m'a donné, directement ou
indirectement, par écrit, ou le plus souvent par des moyens plus
subtils.
Si
d'autres disciples apportent leur témoignage comme je l'ai fait, sans
doute ne mettront-ils pas toujours l'accent sur les mêmes points, mais
sur l'essentiel il ne saurait guère y avoir de divergence.
Je
dois une profonde reconnaissance aux vieux disciples de notre Maître
qui m'ont chaleureusement accueilli parmi eux et aidé, et ont souvent
été autorisés à me faire lire leur correspondance personnelle avec Shrî
Aurobindo, correspondance dont une partie seulement a été publiée.
Je
ne peux les citer tous, mais je ne peux m'empêcher de nommer les
sannyâsins Govindbhai, Yogânanda, Vijoyânanda, Shankara Ram, et
Suddhânanda Bharati ; le philosophe sanskritiste Anilbaran Roy ; A.B.
Purani, spécialiste de « La Vie
divine » ; l'écrivain bengali Nolini Kanta Gupta, longtemps secrétaire
particulier de Shrî Aurobindo ; les anciens compagnons de combat de
Gandhi, Girdharlal, Tulsi, Venkataraman ; les anciens élèves de Tagore,
la musicienne Sahana et le poète Nishi Kanto ; les ingénieurs Pavitra
(Français qui fut longtemps secrétaire général de l'âshram), Chandulal
et Sailen ; les médecins Nirod et Rajangam; l'avocat Kodanda Ram ; la
poétesse Jyotirmoyi ; les peintres Anil Kumar et Champaklal ; la douce
Mridu, à qui Shrî Aurobindo avait assigné le yoga de la cuisine ; les
Français Benjamin, Mouttayen et Sarala ; la jeune veuve tamoule
Padmasini ; le sikh Jauhar, le parsi Amal, les jaïns Nahar et
Rishabhchand, la musulmane Tajdar, et surtout l'écrivain, poète et
musicien bengali, adorateur de Krishna, Dilip Kumar Roy, avec qui Shrî
Aurobindo échangeait jusqu'à trois lettres par jour. Quelle étonnante
pléiade, si variée, de chercheurs ardents de spiritualité !
Enfin, je dois beaucoup à la Mère
de l'âshram (Madame Mirra Alfassa), avec qui j'ai eu de nombreux et
longs entretiens et aussi une abondante correspondance pendant les
périodes où je n'étais pas à l'âshram. Je lui suis reconnaissant de
m'avoir encouragé à publier ces deux volumes.
Jean HERBERT
Vandœuvres, Aout 1976
Shri Aurobindo – RÉPONSES- Textes groupés, traduits et préfacés par Jean HERBERT
Pendant
les vingt-quatre dernières années de sa vie, Shrî Aurobindo vécut dans
une solitude presque complète. Il en sortait trois fois par an (les
jours de darshan) pour recevoir solennellement ses disciples — ceux qui
vivaient dans l'âshram et ceux du dehors qui venaient pour cette
occasion —mais ne leur parlait pratiquement jamais ; il les regardait,
les bénissait et, dans de très rares cas, posait la main sur leur tête. A
part cela, il ne voyait guère régulièrement que trois ou quatre
disciples, surtout Mme Mira Alfassa (la « Mère » de l'âshram) et Nolini
Kanta Gupta, avec qui il s'entretenait longuement.
A
ces exceptions près, les rapports intenses et continus que Shrî
Aurobindo entretenait avec ses très nombreux disciples directs — ils
étaient certainement plus de mille quand il mourut — s'effectuaient de
deux façons.
La plus tangible était une correspondance
invraisemblablement volumineuse ; avec le seul Dilip Kumar Roy, je le
vis échanger trois lettres dans une même journée. Ces lettres, rédigées
en anglais, étaient pratiquement toujours des réponses à des questions
que lui posaient ses disciples, soit de leur propre chef, soit à propos
d'amis qui les employaient comme intermédiaires. Elles étaient toujours
personnelles et il était implicitement convenu que, sauf autorisation
expresse, elles ne seraient ni copiées ni communiquées à des tiers. La
longueur en variait entre quelques lignes et une vingtaine de pages.
Au
début, elles étaient transmises en manuscrit (J'ai publié en fac-similé
un passage de l'une de ces lettres manuscrites dans La Pratique
du Yoga intégral), et naturellement ceux qui les recevaient les
conservaient comme de véritables reliques ; elles étaient d'ailleurs
chargées d'un pouvoir qui allait bien plus loin que le texte écrit. La
plupart d'entre elles n'ont évidemment pas été récupérées par les
disciples qui ont pieusement préparé l'édition des Œuvres complètes ;
quelques-unes, très rares jusqu'ici, ont paru dans les ouvrages écrits
par ceux qui les avaient reçues. C'est seulement au bout de sept ou huit
ans que l'on s'avisa de la perte irréparable que cela constituerait
pour ceux qui dorénavant voudraient s'inspirer de l'enseignement de
Shrî Aurobindo. On prit alors l'habitude de n'envoyer au destinataire —
sauf pour les messages « de routine » — qu'une copie dactylographiée,
généralement faite par Nolini ou sous sa direction, l'original restant
dans les archives de l'ashram.
Probablement
les plus importantes des lettres ainsi conservées qui n'avaient pas un
caractère strictement personnel furent groupées par sujets et publiées,
généralement in extenso, dans divers volumes. A la demande de Shrî
Aurobindo, j'ai traduit et publié en français (Voir : Le Guide du Yoga
(1970), Métaphysique et Psychologie (1976), La Pratique
du Yoga intégral (1976), Expériences psychiques dans le Yoga (1977),
tous parus dans la présente collection. Dans ces ouvrages ont été réunis
les textes publiés auparavant sous d'autres titres) celles de ces
lettres qui traitent de formation spirituelle et de quelques sujets
connexes qui intéressaient ou intriguaient certains disciples. Je n'ai
pas repris la volumineuse correspondance qui a porté sur des questions
de politique nationale ou internationale, d'éducation, de critique
littéraire (surtout d'ouvrages anglais ou sanskrits), de technique
poétique, ou qui ne pouvait intéresser que des hindous.
Dans
les quelque 680 lettres ou extraits de lettres réunis dans le présent
volume, on trouvera des réponses de Shrî Aurobindo sur la nature de
l'homme, les diverses voies utilisées pour chercher un développement
spirituel, les techniques du yoga et les obstacles auxquels on s'y
heurte, et aussi sur le Divin, l'évolution de l'humanité, les grands
hommes, le rôle de la raison et celui de la volonté, la non-violence, le
système des castes, et aussi des indications précises sur le yoga que
Shri Aurobindo a lui-même suivi.
Les
autres communications du Maître, sans doute plus importantes encore,
n'ont malheureusement pas pu laisser de traces tangibles disponibles
pour la postérité ; c'étaient la messages que Shri Aurobindo envoyait
constamment à ses divers disciples par une voie plus subtile — que nous
appellerions peut-être télépathie — pour les guider individuellement de
jour en jour ; ils restent à jamais gravés dans le cœur de ceux qui les
ont reçus.
JEAN HERBERT
Vandœuvres, août 1977.
Préface du volume "Expériences Psychiques dans le Yoga"
Le présent volume fait suite à Métaphysique et Psychologie et La Pratique
du Yoga intégral, parus en 1976 dans la même série. Il consiste en des
extraits des trois volumes de Lettres parus en 1950, 1952 et 1958 aux
Éditions Adyar et depuis longtemps épuisés. Nous y avons ajouté des
extraits d'autres ouvrages de Shrî Aurobindo qui n'ont pas encore été
publiés en français : Shrî Aurobindo on himself, The Yoga and its
object et On Yoga.
La
plupart des disciples de Shrî Aurobindo, dans l'âshram ou au-dehors,
ont eu au cours de leur sâdhanâ des expériences que nous appellerions «
psychiques » ou simplement supraphysiques. Shrî Aurobindo n'ayant pas
depuis longtemps de conversations orales avec ses disciples, ceux-ci
les décrivaient dans des lettres adressées à leur Maître, qui, en
réponse, les analysait à la lumière de sa vaste expérience personnelle,
les expliquait, en précisait la nature, l'importance et le rôle et
indiquait les conséquences pratiques à en tirer pour la suite.
Bien
qu'il s'agisse toujours de cas individuels précis, ces textes
présentent un intérêt considérable pour ceux qui ont eu — ou croient
avoir eu — des expériences analogues ou qui désirent en avoir, et aussi
pour tous ceux qui étudient les problèmes du parapsychisme.
Pour
Shrî Aurobindo, parmi celles de ces expérience; qui étaient
authentiques, il y en avait « qui aident ou qui conduisent vers la
réalisation de choses spirituelles ou divines, qui amènent dans la
sâdhanâ des ouvertures ou de progressions ou qui sont des soutiens sur
la voie ». Mais il ne faut pas penser, se hâtait-il d'ajouter, que même «
l'abondance des expériences... suffit à faire un grand sâdhak ».
Shrî
Aurobindo fait dans ses lettres deux très graves mises en garde, qui
naturellement prennent encore beaucoup plus d'importance pour ceux
d'entre nous qui n'ont pas le privilège d'être guidés et surveillés de
jour in jour par un maître compétent.
D'abord
que dans les visions, auditions, sensations, etc. que l'on peut avoir,
certaines peuvent fort bien provenir de forces hostiles et qu'il faut
donc toujours exercer à leur égard une sévère discrimination avant de
les admettre. En effet, elles peuvent « nous égarer, parfois
tragiquement ».
Ensuite
que même les expériences les plus authentiques et normalement les plus
bénéfiques peuvent avoir des résultats néfastes si elles arrivent à
quelqu'un qui n'est pas suffisamment préparé — c'est-à-dire purifié —
sur les plans où elles se produisent. Il se réfère à « de nombreux cas
où les expériences se sont montrées dangereuses avant que le coeur ou le
vital ne soit prêt pour l'expérience ».
Avec
cette conséquence qu'il est fort imprudent de chercher à provoquer ces
expériences. Si l'on en cherche, « le yoga peut amener un tourbillon...
et s'interposer entre l'âme et le Divin ». Nous avons connu en Occident
de très nombreux cas dans lesquels une montée provoquée de la kundalini
avant que les centres aient été purifiés a eu des conséquences
tragiques.
Une
troisième chose importante à relever, c'est que pour Shrî Aurobindo
aucune expérience ne doit être considérée comme un point final dans
l'évolution de celui qui l'a reçue. En particulier, il insiste à maintes
reprises sur le fait que l'expérience du Brahman statique, c'est-à-dire
du plan de conscience de la non-dualité, n'est jamais qu'une étape, si
importante ou même nécessaire soit-elle, dans la sâdhanâ — contrairement
à ce que s'imaginent avec complaisance la plupart des Occidentaux qui
ont eu cette expérience, ou qui croient l'avoir eue ou qui se la
proposent comme but. Pour lui, elle doit être complétée par celle de ce
qu'il appelle le Brahman dynamique, car le but de son yoga n'est pas de
s'évader de la vie terrestre, mais d'y faire descendre le Divin.
Shri Aurobindo -Aperçus et Pensées - , Préface
de Jean Herbert
Shrî Aurobindo naquit à Calcutta en 1872, de
père et mère bengalis. De 1879 à 1893, il fit en Angleterre des études
exclusivement occidentales, sans aucun contact avec la culture de son pays
natal. Pendant ces quatorze années, il acquit une vaste connaissance de la
littérature, de l'histoire et de la culture de l'Europe. Il connaît à fond le
grec et le latin, possède admirablement le français, lit Dante et Goethe dans
le texte original. Quant à son anglais, il ne le cède en précision et en pureté
à celui d'aucun auteur contemporain. C'est en anglais qu'il a écrit la presque
totalité de son œuvre philosophique. Grâce à ce contact intime et prolongé avec
l'Occident, notre façon de comprendre, de réagir, de raisonner, d'envisager les
différents problèmes, n'a plus de secrets pour lui. C'est ce qui lui permet de
nous parler dans une langue qui nous soit accessible, de nous présenter des
idées sous une forme telle que nous puissions les comprendre. Loin de mépriser
— comme le font souvent les grands sages de l'Orient — ce que la civilisation
occidentale a de matérialiste, il y voit une contribution importante ci
utilisable au progrès d'ensemble de l'humanité tout entière.
De
1893 à 1906, il occupa divers postes dans l'administration de l'état de Baroda,
et se plongea dans l'étude de la culture et de la philosophie hindoues, du
sanskrit et de diverses langues de l'Inde. Il y acquit une maîtrise telle que
son interprétation de la forme et du fond des grands classiques indiens :
Vedas, Upanishads, Bhagavad-Gîtâ, fait autorité dans l'Inde, même auprès de
ceux qui n'acceptent pas son système philosophique.
En
1906, il entra ouvertement dans l'arène politique, où il exerçait déjà depuis
1902 une profonde influence. Il fut l'un des fondateurs et l'un des grands
chefs du mouvement nationaliste au Bengale pendant la période tragique de 1906
à 1910. Il opéra une véritable transformation dans la pensée et l'opinion de
toute l'Inde, notamment par les différents périodiques qu'il publia (Bande
Mataram, Karmayogin, Dharma). Plusieurs fois arrêté et poursuivi pour son
activité politique, il fut toujours acquitté. En 1908-1909, il fit cependant un
an de prison préventive.
En
1910, il se retira dans l'Inde française, à Pondichéry, où il a résidé sans
interruption depuis cette époque. Il cessa complètement toute activité
politique, refusa à plusieurs reprises la présidence du Congrès de l'Inde, et
se consacra exclusivement à sa discipline spirituelle, à son Yoga, qu'il
suivait depuis plusieurs années déjà.
Les
Aperçus et Pensées sont la première œuvre de Shrî Aurobindo qui paraisse en
librairie en français. Ils donnent en peu de pages, sous une forme concise et
pénétrante, les idées fondamentales et essentielles de la philosophie de Shrî
Aurobindo. Chacun d'eux fournirait matière à des développements abondants.
Le
lecteur français y trouvera beaucoup d'opinions, de conceptions, qui ne lui
sont pas familières, et qui d'abord le surprendront. Mais l'important dans un
livre, ce n'est pas ce qu'on y accueille d'emblée avec plaisir parce qu'on
était prêt à l'accepter, qu'on y reconnaît sa propre pensée et qu'on éprouve
ainsi une certaine satisfaction d'amour-propre — c'est bien plutôt la pensée
nouvelle qui donne un choc au lecteur, l'oblige à se recueillir dans la
réflexion et lui procure ainsi un enrichissement véritable.
Celui
qui voudra lire et critiquer ces aphorismes avec sa raison raisonnante y
trouvera un stimulant puissant, une nourriture riche et saine, une gymnastique
salutaire, un profit considérable, mais celui qui veut en extraire tout le suc
devra les méditer dans le silence, avec tout son être, et non pas seulement
avec ses facultés intellectuelles.
En
effet, ce n'est pas à l'élément purement intellectuel que l'auteur attache le
plus d'importance ou qu'il s'adresse essentiellement. Il fait appel à des
couches beaucoup plus profondes de notre être. Comme tous les grands
représentants de la philosophie hindoue, il considère la compréhension
intellectuelle isolée comme une chose incomplète, stérile et desséchée. Le philosophe
est resté pour lui « l'ami de la sagesse », et plus encore le « sage », celui
qui cherche et applique dans la pratique des règles de vie permettant à
l'individu de parvenir, par un développement méthodique de tout l'être, à un
épanouissement toujours plus vaste et plus complet. Dans son enseignement, la
parole, la pensée mentale, sont surtout un des véhicules, très insuffisant
d'ailleurs, pour la transmission de la force, de l'inspiration, du désir de
progresser. Elles sont pour lui ce qu'est le bistouri pour le chirurgien, un
moyen et jamais un but. Shrî Aurobindo est avant tout un homme pratique, qui s'occupe
des réalités et ne se laisse pas griser par des mots.
Pour
lui comme pour ses grands prédécesseurs, la philosophie et la vie ne font
qu'un; le vrai philosophe, c'est Socrate et non le savant exégète de pensées
conçues et vécues par d'autres. Mais alors que —jusqu'à Vivekânanda tout au
moins — la plupart des grands systèmes de l'Inde conduisaient à fuir la vie
quotidienne dans son aspect habituel, Shrî Aurobindo se rapproche de nos
conceptions éthiques et religieuses qui — théoriquement en tout cas — se
proposent de laisser l'homme dans le monde et de faire intervenir le Divin dans
les faits de la vie matérielle.
Non
seulement il réalise cette immense synthèse des Aperçus et Pensées deux
conceptions, mais encore, voyant plus loin, allant plus loin, il veut s'élever
sur un plan de conscience d'où il puisse faire descendre le Divin aussi bien
dans le corps matériel et la vie physique que dans 1'esprit, le cœur et l'âme.
Le corps n'est plus pour lui la cage dont il faut s'échapper, c'est un aspect
de la création tout aussi indispensable, respectable et digne d'attention que
les autres. Même si elle est plus rebelle à la purification, plus attachée à
l'égoïsme, la matière n'en est pas moins destinée à devenir une manifestation
parfaite du Divin sous toutes ses formes.
Le
terrain conquis par Shankarâchârya, par Bouddha, par Shrî Râmakrishna et par
tous les autres grands maîtres spirituels est le port d'où rembarque Shrî
Aurobindo pour une nouvelle conquête au profit de l'humanité. Son Yoga peut
vraiment être dit intégral, car il utilise toutes les voies ouvertes par des
yogas déjà connus, non pas en les juxtaposant, mais en les fondant en un nouvel
ensemble.
Devant
cette prodigieuse tentative, la plus audacieuse peut-être que l'homme ait
jamais conçue, la critique ne peut que rester muette. Mais, comme Vivekânanda,
Shrî Aurobindo estime que l'expérience destinée à rester unique est sans
valeur, et que le Maître que ses disciples ne peuvent imiter est aussi stérile
que l'arbre sans fruits. Aussi aide-t-il certains privilégiés à l'accompagner
dans la mesure de leurs moyens. Seuls ceux qui, dans un immense élan, dans un
entier don d'eux-mêmes, dans un effort terriblement ardu et obstiné, ont suivi
Shrî Aurobindo dans sa marche vers le but qu'il s'est assigné, peuvent avoir une
expérience suffisante pour se faire une opinion. J'ai bonne fortune de connaître
plusieurs membres de groupe, qu'entoure le respect de l'Inde tout entière.
Tous, hommes et femmes, jeunes et vieux, qu'ils soient, artistes, négociants,
philosophes, ingénieurs, poètes, médecins, moines ou fonctionnaires, quels que
soient, leur race, leur religion ou, leur pays d'origine, ont en tout cas une
confiance intime suffisamment absolu, dans le chemin tracé par leur gourou pour
consacrer toute leur vie à cette recherche. Dans les occupations les plus
diverses, sous la direction incessante et minutieuse du Maître, ils travaillent
patiemment, intensément, à s'élever jusqu'au Divin, et à installer le Divin
dans toutes les parties, dans tous les détails, dans tous les recoins de leur
être physique, de leur esprit intellectuel, de leur subconscient, de leur
volonté, de leurs aspirations, de leur activité.
Moins
favorisé en cela que Râmakrishna, Vivekânanda et Gandhi, Shrî Aurobindo n'a pas
encore trouvé son Romain Rolland. Ce dernier a pourtant pressenti l'importance
capitale de l'œuvre entrepris( par Shrî Aurobindo, de qui il dit dans un de ses
livres (1) :
«
Ainsi se parfait la fusion de la connaissance la plus complète avec l'action la
plus intense, dans l'Inde religieuse, savante et héroïque qui ressuscite. Et le
dernier de ses grands Rishis tient dans ses mains, tendu, l'arc de l'Élan
créateur. »
Et
je suis persuadé que si notre grand compatriote avait continué son admirable
série de « L'Inde vivante », il en aurait consacré le cinquième volume à Shrî
Aurobindo.
Pondichéry, février 1937.
Jean HERBERT.
(1) Romain Rolland, La Vie de Vivekânanda et
1'Evangile universel, vol. 11, pages 189 sqq.
PRÉFACE au fascicule "L'Interprétation
PSYCHOLOGIQUE DU VEDA selon SHRI AUROBINDO" , par Jean Herbert
Selon
la tradition hindoue, les hymnes védiques sont antérieurs à la création du
monde. Cette prétention, évidemment inadmissible à première vue pour des
Occidentaux, l'est peut-être un peu moins si l'on admet que de grands sages,
les rishis, auteurs de ces hymnes, ont « vu » les lois qui régissent la
création et la vie du monde, et les ont exprimées dans un langage à la fois
mythique et symbolique, le seul sans doute qui convienne (1).
Or,
ces lois préexistaient naturellement à la création du monde. La loi de la
gravitation, les théorèmes de l'algèbre, les lois de l'optique, de
l'électricité, de l'astronomie ou de la biologie n'ont pas attendu pour exister
qu'apparaissent les objets auxquels nous les voyons s'appliquer, et encore
moins que des savants les expliquent dans le langage de la science. Il en va de
même pour les lois que nous n'avons pas encore « découvertes » ou que nous ne
connaissons encore qu'approximativement.
Quoi
qu'il en soit, le texte des hymnes qui nous est parvenu (traditionnellement
groupés par Vyâsa) est certainement l'une des œuvres les plus anciennes dont
nous disposons, probablement même la plus ancienne. On peut admettre en outre
que leur formulation, et la sagesse qu'ils nous transmettent, doivent être
l'aboutissement d'une très longue élaboration au cours de nombreux siècles,
sinon de millénaires d'évolution. Plusieurs rishis (2) se réfèrent d'ailleurs
expressément à de beaucoup plus anciens sages, leurs « ancêtres » ( les Atris,
les Angiras, les Bhrigus ?), dont ils déclarent avoir recueilli les
enseignements.
Ces
hymnes sont unanimement considérés comme la seule base de lHindouisme, et il
est couramment admis que seul est un véritable hindou celui qui accepte sans
réserve leur autorité (3).
Selon
la tradition hindoue, chaque verset du Véda est un mantra, une formule sacrée,
qui exprime une loi applicable dans chacune des 32 sciences traditionnelles :
prosodie, grammaire, musique, architecture, ritualisme, astronomie, médecine,
yogas, etc. Des recherches récentes faites par des spécialistes semblent
indiquer en tous cas que cela est probable pour la musique et vraisemblable
pour l'architecture. Mais il est évident que ces textes intentionnellement
hermétiques sont difficiles à déchiffrer, et c'est précisément la tâche des
sages, tout au long des siècles, d'en révéler des richesses jusqu'alors
insoupçonnées. Shrî Aurobindo en a élucidé les significations métaphysiques et psychologiques
en partant non pas d'une recherche intellectuelle, mais d'une profonde
expérience spirituelle.
Il
eut un premier contact avec le Véda à l'Université de Cambridge, où l'on
faisait alors remonter à la culture grecque l'origine de toute vraie
civilisation. Sur la base de ces nouvelles sciences appelées philologie
comparée et mythologie comparée, on voyait dans les hymnes védiques « les
compositions sacrificielles d'une race primitive et encore barbare tournant
autour d'un système de rites cérémoniels et propitiatoires adressés à des
Pouvoirs personnifiés de la Nature, une masse confuse de mythes à demi formés
et de grossières allégories en cours de formation », ou tout au mieux « un
groupe d'hymnes sacrificiels composés dans une langue archaïque et présentant
de nombreuses difficultés à peu près insolubles ».
Shrî
Aurobindo a raconté lui-même comment, une fois arrivé dans l'Inde, il en vint à
s'intéresser aux Védas. En pratiquant certaines disciplines yoguiques, il se
trouva conduit vers les « sentiers antiques et maintenant abandonnés » des
ancêtres de sa race. Des expériences psychologiques évoquèrent en lui certains
noms symboliques, parmi lesquels ceux des trois Déesses Ilâ, Sarasvatî et
Saramâ, qui représentèrent pour lui « trois des quatre facultés de la raison
intuitive : révélation, inspiration et intuition ». Mais c'est après son
arrivée dans l'Inde du Sud que lui apparut invraisemblable et inacceptable la
théorie généralement admise par les orientalistes d'une « division raciale
entre Aryens du Nord et Dravidiens du Sud » et d'une invasion aryenne qui
aurait transformé la culture antérieure. Ce qui l'amena à refuser
l'interprétation ethnique, et accessoirement linguistique, des termes Aryen et
Dravidien tels qu'ils sont employés dans les hymnes védiques.
C'est
en se reportant aux textes pour vérifier ses suppositions qu'il y découvrit «
une masse considérable de profondes pensées et expériences psychologiques »,
ainsi qu'une explication lumineuse et précise de ses propres expériences,
explication qu'il n'avait trouvée « ni dans la philosophie européenne, ni dans
les enseignements du Yoga et du Védânta ». Il constata aussi que les textes
védiques éclairaient des passages et idées obscurs des Upanishads et donnaient
un sens nouveau à de nombreux passages des Purânas. Heureusement, dit-il, à
cette époque il ne connaissait pas le célèbre commentaire de Sayana.
De
plus en plus convaincu que le Véda contenait sur les plans métaphysique et yoguique
des richesses insoupçonnées, Shrî Aurobindo se mit à l'étude du célèbre et
volumineux commentaire de Sayana — qui donne des hymnes une interprétation
presque uniquement ritualiste — et du Nirukta de Yaska (4). Il se livra aussi à
une étude technique approfondie de la terminologie védique et même de ses
origines (5). Toutes ces recherches confirmèrent pleinement les suppositions
qu'il avait faites.
Tout
en continuant à reconnaître comme parfaitement valables les significations données
par Sayana et celles des indianistes européens, Shrî Aurobindo acquit la
certitude que les Védas se prêtent aussi à une interprétation beaucoup plus
profonde qui s'était pratiquement perdue au cours des siècles en Inde même (6)
, mais d'où les Upanishads, les Tantras et les Purânas avaient tiré l'essentiel
de leur substance et sur lesquels par conséquent ils jetaient une certaine
lumière.
C'est
alors qu'il se plongea dans une étude d'ensemble du symbolisme védique, dont il
put constater la parfaite cohérence dans le cadre de l'interprétation
psychologique qu'il recherchait, en particulier en ce qui concerne les divers
prêtres agissant dans le sacrifice, les éléments de l'oblation, les divers «
mondes » de la cosmologie védique et les Dieux védiques. Et il en dégagea un
authentique et précieux yoga.
Cette
multiplicité de significations des hymnes védiques n'est d'ailleurs pas un phénomène
exceptionnel. Comme Shrî Aurobindo le relève lui-même, un des principes de tous
les
mystiques est que « la connaissance de soi
et la vraie connaissance des Dieux sont à la fois sacrées et secrètes » et ne
doivent être communiquées qu'à ceux qui en sont dignes et en feront bon usage.
A côté de « la discipline intérieure pour l'initié » il doit y avoir « pour le
profane un culte extérieur efficace mais imparfait ».
Il
ajoute : « Si les formules et cérémonies védiques fournissaient ouvertement les
détails d'un ritualisme conçu pour un culte panthéiste de la Nature, le sens
caché des paroles sacrées, symboles effectifs de l'expérience et de la
connaissance spirituelles, ainsi qu'une discipline psychologique de culture de
soi, étaient déjà la réussite suprême à laquelle pouvait aspirer la race
humaine. » Le texte du Véda devait donc nécessairement être ambigu.
Lorsque
j'ai demandé à Shrî Aurobindo comment il faudrait traduire les Védas dans une
langue occidentale qui ne se prête pas à de telles ambiguïtés, il me répondit
qu'il faudrait mettre côte à côte au moins cinq traductions différentes,
correspondant chacune à une autre interprétation.
Tout
en distinguant soigneusement les uns des autres les différents rishis (7), il
arriva vite
a la conclusion que le Rig-Véda forme un
tout parfaitement cohérent, tant dans sa mythologie que dans sa conception
détaillée du but assigné à la quête de l'homme. Certes, chaque rishi a une
personnalité bien marquée (8), mais tous expriment, chacun à sa manière, la
même vision, et les voies qu'ils indiquent sont en réalité complémentaires,
jamais incompatibles. Dans tout le Véda, les symboles fondamentaux restent les
mêmes, les Dieux ou Demi-Dieux représentent chacun toujours la même force, qui
se manifeste aussi bien dans le macrocosme que dans le microcosme.
La
quasi totalité de ce que Shrî Aurobindo écrivit sur le Véda se trouve dans
trois ouvrages, « The secret of the Veda », « Hymns of the Atris » et «
Selected Hymns » (9). Il y a donné des traductions complètes de quelque
quatre-vingt hymnes où, tout en suivant aussi littéralement que possible la
présentation de chaque phrase, il a donné à chaque nom, adjectif ou verbe sa
pleine signification, souvent par d'inévitables périphrases.
Il
souligne d'ailleurs que, faute de temps, il n'a pu apporter du Véda et de son interprétation
psychologique qu'une esquisse très incomplète.
Dans
les pages qui suivent, nous avons presque totalement omis les longues et
souvent
fastidieuses démonstrations qu'il a dû
présenter à l'appui de chaque interprétation de détail, car elles ne sauraient
intéresser que les rares spécialistes du sanskrit védique.
(1) En termes de mythologie, ce sont les
lois auxquelles le Créateur, Brahmâ, a dû se conformer pour créer le monde,
cette création étant cyclique.
(2) Notamment Agastya, Avatsara, Bharadvaja,
Gotama, Kakshivan, Kutsa, Nabbaka, Parashâra, Sankha, Vâmadeva, Vasishtha,
Vishvamitra.
(3) Celui qui n'accepte pas leur autorité
est un pseudo (alîka)-hindou. Même le Mahâtmâ Gandhi le soulignait (Cf.
Harijan, 10 février 1940).
(4) qu'il admire comme lexicographe, mais
dont il se méfie comme étymologiste.
(5) Il a écrit à cette occasion une étude remarquable
sur "The origins of Aryan speech", dans laquelle il ébauche tout un
système de philologie comparée.
(6) Selon lui, avec le temps, la
connaissance et l'utilisation pratique du Véda étaient passées du sage au
prêtre, puis du prêtre à l'érudit — grâce à qui d'ailleurs les textes actuels
ont pu être conservés dans leur forme originelle avec une scrupuleuse
exactitude — et sauf rares exceptions en totalité et dans l'ordre.
(7) Ce qu'on omet généralement de faire.
Lorsqu'on désigne un hymne uniquement par son numéro d'ordre sans en citer
l'auteur, on commet une faute aussi impardonnable que si l'on désignait un
poème de Victor Hugo par le seul numéro de la page où il figure dans une
anthologie.
(8) « Certains rishis, comme Kutsa, Kanva,
Ushanas Kavya, sont devenus les types et les symboles de certaines expériences
et victoires spirituelles. »
Vishvamitra,
dans son langage énergique et puissant, nous fournit parfois, sans aucune
ambiguïté, la clé du sens psychologique, le vrai sens mystique des images
védiques. Vâmadéva, un des visionnaires les plus profonds, dont le langage est
parmi les plus mystiques, et aussi un des chantres les plus mélodieux,
s'exprime parfois avec une claire lucidité. Vasishta, en particulier dans
certaines litanies passionnées, accumule parfois dans ses calmes harmonies,
le sens psychologique et fait ressortir le sens symbolique. Parâshara Shâktya,
poète lumineux qui aime toujours soulever un peu plus qu'un coin du voile
mystique, est souvent clair et émouvant.
Shrî
Aurobindo admire la lucidité mélodieuse de Madhâtithi Kanva, le style mystique
profond de Dirghatamas Auchyata, l'aspiration véhémente d'Agastya, le désir de
progresser vers le ciel qui chez Ushanas Kavya est né de la connaissance du
visionnaire.
Il
relève aussi que « les noms des rishis sont constamment employés avec une
référence voilée à leur signification ». Ainsi pour Archanânas, qui progresse
vers l'illumination crée par le Verbe, pour Gotama, totalement possédé par la
Lumière, pour Gavishthira, ferme dans la Lumière.
(9) Ces textes sont parus dans la revue «
Arya » entre août 1914 et août 1920.
Brahman
et Mâyâ dans les Upanishads
Traduction de Jean Herbert
Note du traducteur
Dans sa philosophie et son yoga (1), Shrî Aurobindo
a pris pour point de départ ce qu'il appelle « le plus ancien Védânta »,
c'est-à-dire essentiellement le Véda (2), la Bhagavad-Gîtâ (3) et « l'ancienne
pensée védântique des Upanishads ».
A ces dernières, non seulement il se refère
fréquemment, mais il en a traduit huit en totalité (Isha, Kéna, Katha,
Mundaka, Mândukya, Prashna, Taïttirîya et Aïtérya) et plusieurs autres
partiellement (Shvétâshvatara, Chhândogya, Kaïvalya et Nilarudra). Enfin, il a
écrit sur l'Isha et la Kéna de longs et importants commentaires (4).
Les textes dont nous donnons ici la traduction
ont été écrits pendant son séjour à Baroda et publiés dans six numéros
successifs du périodique « Advent » en 1952. Ils commencent par un historique
de la recherche spirituelle des hindous et se poursuivent par une étude des
concepts de Brahman et de Mâyâ dans les Upanishads.
(1) Cf.
Shrî Aurobindo, « Métaphysique et Psychologie » (Paris, Albin Michel, 1976) et
« La pratique du Yoga intégral » (ibid.)
(2)
Cf. Jean Herbert, « L'interprétation psychologique du Véda selon Shrî
Aurobindo » (Paris, Dervylivres, 1979)
(3)
Cf. Shrî Aurobindo, « La Bhagavad-Gîtà » (Paris, Albin Michel, éd. de poche,
1970)
(4)
Cf. Shrî Aurobindo, « Trois Upanishads (Isha, Kéna, Mundaka) » (Paris, Albin
Michel, éd. de poche, 1972)1
Trois Upanishads, Isha , Kena , Mudaka,
Préface de Jean Herbert
Dans cette
nouvelle édition, nous avons décidé, d'accord avec l'auteur, de grouper en un
seul volume ses études sur l'Ishâ Upanishad et sur la Kena Upanishad, et d'y
ajouter sa traduction de la Mundaka Upanishad, jamais encore publiée en
français. Ces différents textes forment à la fois le complément et le pendant
des études de Shrî Aurobindo sur la Bhagavad-Gîtâ, déjà publiées dans celle
même collection. Puissent-elles montrer aux Occidentaux à la fois le but et la
méthode que doivent avoir les recherches sur les textes sanskrits classiques si
l'on veut les comprendre, tant dans la signification que leur donnaient leurs
auteurs que dans la valeur pratique qu'ils ont aujourd'hui encore pour tous les
hindous.
L'Ishâ
ou Ishâvâsya Upanishad, rattachée au Yajur-Véda blanc, est considérée comme
une des plus anciennes et des plus importantes de toutes les Upanishads. Elle a
été honorée d'importants commentaires par Shankara et par de nombreux autres
maîtres à toutes les époques.
Le
texte original anglais de « L'Ishâ Upanishad » parut d'abord dans la revue Arya
en 1914-1915. Il fut
ensuite publié en librairie (Arya Publishing
House, College Street, Calcutta).
Le
début de la traduction française parut, en même temps que le texte anglais,
dans l'édition française de la revue Arya. La fin de la traduction a été faite
par Jean Herbert. Toute la traduction a été revue et corrigée par l'auteur.
La
Kena Upanishad est généralement rattachée au Sâma-Véda. Toutefois, sous le nom
de Talava-kâra, elle est parfois rattachée à l'Atharva-Véda.
L'étude
ci-après parut dans la revue Arya, Pondichéry, en 1915-1916. Le texte anglais
original n'en a jamais été publié en librairie. La traduction française a été
faite par Camille Rao, René Daumal el Jean Herbert avec l'autorisation de Shrî
Aurobindo, mais en raison des circonstances elle n'a pas pu être soumise à
celui-ci.
La
Kena Upanishad fut traduite en latin par Anquetil Duperron (publiée en 1801),
en français par Poley (1836), partiellement par Victor Hugo (dans la Légende
des Siècles, sous le titre « Suprématie »), par Marcault (1905), partiellement
par Salet (1920) et par Louis Renou (1943).
La
Mundaka Upanishad, rattachée à l'Alharva-Véda, est également l'une des plus
anciennes. La traduction anglaise qu'en a faite Shrî Aurobindo parut dans la
revue Arya en 1920, malheureusement sans commentaires, et ne fut jamais
réimprimée. Le texte français que nous donnons ici a été établi par Jean
Herbert et revu par Shrî Aurobindo. Celle Upanishad avait été déjà traduite en
français par Poley (1836), partiellement par Regnard (1876), partiellement par
Salet (1920) et par Jacqueline Alaury (1943).
Vandœuvres, novembre 1918.
JEAN HERBERT
La
conception d'une Unité transcendantale, Unité et Stabilité, derrière tout le
flux et la variété de la vie phénoménale est l'idée de base des Upanishads ;
elle est le pivot de toute la métaphysique indienne, la somme et le but de
notre expérience spirituelle. Au monde phénoménal qui nous entoure, stabilité
et unité semblent à première vue totalement étrangères; il n'y a rien qui ne
passe et ne change, rien qui n'ait ses contreparties, ses contrastes, ses
parties harmonisées ou dissidentes. Toutes perpétuellement varient et
réorganisent leurs positions relatives et leurs affections. Et pourtant si une
chose est certaine, c'est que la somme de tout ce mouvement et de tous ces changements
est absolument stable, fixe, invariable, que toutes ces multitudes hétérogènes
de choses animées et inanimées sont fondamentalement une, homogène. Sans quoi
rien ne pourrait durer, ni ne pourrait exister avec certitude.
Sri Aurobindo , Brahman et Mâyâ dans les Upanishads
Métaphysique et psychologie
Note de l'éditeur , Pierre faucheux, présentation de quatrième de couverture.
Métaphysique et Psychologie comprend plus de 1 500 extraits
puisés dans plus de 50 volumes, dont tous ceux déjà traduits en français —y
compris les trois importants volumes de « Lettres » maintenant épuisés — et
aussi dans de nombreuses plaquettes qui n'existent qu'en anglais.
Les principales sections sont intitulées : Sources et
antécédents, Vérité et complémentarités, L'Évolution, le Divin, Modes et plans
de la nature telle qu'elle nous apparaît, Les plans cosmiques supérieurs, de
l'homme réel à l'homme apparent, L'homme dans le monde et la société, Le physique
et le vital chez l'homme, Le mental actuel chez l'homme, Au-delà de l'être
humain mental.
Il y est joint une importante préface de Jean Herbert, qui
situe ces divers sujets les uns par rapport aux autres, et un schéma de
l'analyse psychologique de l'homme selon Shrî Aurobindo.
Métaphysique et psychologie
PRÉFACE de Jean Herbert
NI
CONSIDÉRATION DE SOI, NI OUBLI DE SOI (1)
Après que Shrî Aurobindo m'eut
accepté comme disciple en 1935, il m'a permis de traduire en français et de
faire traduire dans d'autres langues tout ce que je voudrais de son immense
œuvre écrite, autorisation qu'il avait jusqu'alors constamment refusée. En
français il est ainsi paru à ce jour une douzaine de volumes de ses écrits
philosophiques et yoguiques.
Comme les mêmes sujets y sont
fréquemment traités en plusieurs endroits, j'ai jugé le moment venu de
faciliter l'accès à cet enseignement en groupant dans un même volume, dans un
ordre systématique, les textes fondamentaux portant sur la métaphysique et la
psychologie. Ce sont deux sujets qui, pour lui comme pour tous les maîtres
hindous, sont indissociables et même n'en font qu'un, comme nous le verrons
plus loin.
Une partie des traductions
faites de son vivant ont été vérifiées par lui personnellement ; certains des
passages cités ici proviennent de volumes qui n'ont encore jamais été traduits
en français.
La métaphysique de Shrî
Aurobindo se propose de nous expliquer à la fois le monde tel qu'il nous
apparaît et la réalité plus profonde que nous cachent les apparences. De même
sa psychologie traite à la fois de l'être que nous avons conscience d'être et
de « ce " beaucoup plus " que nous sommes secrètement (2) ».
Dans son œuvre, Shrî Aurobindo
procède à une magistrale synthèse, sans doute jamais égalée, de toutes les richesses
accumulées par l'humanité au cours des millénaires, de « la vérité de tous les
enseignements dans l'harmonie de la sagesse éternelle (3) », dans une « fusion
de l'ancienne connaissance d'Orient et de la récente connaissance d'Occident
(4) ».
« Nous avons, dit il, non
seulement à assimiler les influences des grandes religion théistes de l'Inde et
du monde, ainsi que la compréhension retrouvée de la signification du
Bouddhisme, mais aussi à tenir pleinement compte des révélations, puissantes
quoique limitées, de la connaissance et de la recherche modernes ; outre cela,
le lointain passé sans âge, qui semblait mort, revient sur nous, resplendissant
de nombreux et lumineux secrets depuis longtemps perdus pour la conscience
humaine, et qui réapparaissent de derrière le voile (5). »
Si les textes hindous auxquels
il se réfère sont, sauf exceptions, puisés dans les Écritures sacrées,
essentiellement le Rig-Véda, la Bhagavad-Gîtâ et quelques Upanishads, il fait
de fréquentes allusions aux grands systèmes philosophico-religieux que sont le
Sâmkhya, le Védânta (y compris l'« Illusionnisme » de Shankara) et le
Vishnouïsme-Krishnaïsme, et il utilise leurs apports. Dans toutes «ces
puissantes tentatives de l'esprit humain » il voit des contributions irremplaçables
au progrès de l'humanité. Il considère cependant chacune d'elles — et plus
particulièrement celles qui sont postérieures au « plus ancien Védânta » —
comme ne conduisant qu'à l'épanouissement d'une partie des facultés de l'homme,
à un développement — qui, pour être authentique, n'en est pas moins partiel —
de notre vision et de notre faculté d'évolution. Pour lui, loin d'être
contradictoires et incompatibles, toutes les conceptions auxquelles l'humanité
s'est attachée sont mutuellement complémentaires et il les embrasse en la
synthèse sur la base de laquelle il se propose de faire un nouveau pas en
avant.
L'enseignement théorique et pratique (métaphysique, psychologique et
yoguique) de Shrî Aurobindo ne s'appuie d'ailleurs pas sur une simple analyse
des textes; c'est grâce aux expériences spirituelles par lesquelles il est
lui-même passé qu'il redécouvre « la Lumière de l'antique et éternelle vérité
conservée pour nous dans les Écritures védântiques (6) » et la possibilité
d'utiliser tout ce qui a suivi.
Shrî Aurobindo admet la
distinction classique hindoue — sur laquelle nous reviendrons — entre le plan
de conscience de la multiplicité sur lequel nous vivons habituellement et le
plan de conscience de l'unité qui le sous-tend et auquel s'élèvent les grands
mystiques. Mais, contrairement aux plus extrémistes des advaïtistes, il se
refuse à voir dans l'Un l'unique Vérité et dans le Multiple une pure et simple
Illusion. Pour lui, « l'Un et le Multiple sont des aspects fondamentaux de
l'Infini (7)». « L'unité est la plus grande vérité, la multiplicité est la
moindre vérité, encore que les deux soient vérité et aucune d'elles illusion
(8). »
De cela découlent, entre
autres, deux conséquences importantes. D'abord que l'Un et le Multiple ne sont
pas forcément les deux seuls aspects de l'Infini, ni de la Vérité. Ensuite, que
rien ne s'oppose logiquement à ce que l'homme puisse passer progressivement de
l'un de ces aspects à un autre, en restant même éventuellement chaque fois
conscient des aspects dont il a eu antérieurement l'expérience.
L'ensemble de cette vision
métaphysique sous ses divers aspects et à ses divers degrés ne saurait être
saisi par l'intellect dont dispose l'homme ; il ne peut être perçu que par
l'expérience intérieure individuelle à laquelle conduisent les disciplines
appropriées, par « le pouvoir de perception de la vision intérieure [qui] est
plus grand et plus direct que le pouvoir de perception de la pensée (9) », par
« une logique dont les enchaînements ne sont pas les degrés de la pensée, mais
les degrés de l'existence (10) ». « Ce n'est pas une vérité à prouver, mais une
vérité à vivre intérieurement, une plus grande réalité en laquelle il nous faut
grandir (11). » Elle ne doit cependant pas être contredite par notre raison,
qui doit pouvoir en fournir une explication conséquente. C'est pourquoi Shrî
Aurobindo peut présenter son enseignement à ce sujet en termes de métaphysique.
Il s'appuie sur deux postulats
fondamentaux qu'il serait bien difficile de réfuter.
Le premier, c'est que «
l'évolution tourmentée de la Nature terrestre (12) », qui a passé
successivement par les stades du minéral, du végétal et de l'animal pour
parvenir à celui de l'homme, n'a pas trouvé en l'homme tel qu'il est
actuellement son point final, mais seulement un « échelon (13) » et doit se
poursuivre. Le stade suivant sera normalement aussi différent du stade humain
actuel que ce dernier l'est du stade animal. « Avant même que l'homme existe,
la Réalité a assumé une forme et une création infrahumaines, et après l'homme
ou en l'homme elle peut assumer une forme et une création suprahumaines (14). »
Nous reviendrons plus loin sur le processus de cette évolution et sur le rôle
que l'homme pourrait être appelé à y jouer.
Le second postulat est que
toute « évolution » présuppose une « involution » préalable, « évolue hors de
son involution (15) ». Ainsi la vie n'aurait pas pu émerger de la matière
inerte si elle n'y avait pas déjà été involuée, le mental n'aurait pas pu faire
son apparition s'il n'avait pas déjà été involué dans le monde végétal qui l'a
précédé.
De ces deux prémisses une
conclusion s'impose. C'est que ce qui caractérise les stades à venir dans la
suite de l'évolution doit déjà être involué, même si caché à nos yeux, dans ce
qui est manifesté au stade actuel, et en particulier dans le mental humain, qui
représente le plus haut niveau actuellement réalisé dans l'évolution sur notre
terre. « Notre mental ... est un pouvoir intermédiaire qui a grandi et continue
de grandir vers quelque chose qui le dépasse; il y a eu des niveaux inférieurs
de conscience qui sont venus avant lui et d'où il s'est élevé, et il doit fort
évidemment y avoir des niveaux supérieurs vers lesquels il s'élève lui-même
(16). »
Shrî Aurobindo ne laisse de côté aucun problème, car « dans la pensée
métaphysique comme dans la science, la solution générale et finale qui a des
chances d'être la meilleure est celle qui inclut tout et rend compte de tout
(17) ». Aussi a-t-il pu écrire : « Chaque chose prend sa place dans l'ensemble
(18). » Même « une réelle solution du problème de l'existence ne peut se baser
que sur une vérité qui rende compte de notre existence et de l'existence du
monde et concilie leur vérité, leur juste rapport, avec la vérité de leur
rapport avec la Réalité transcendante, quelle qu'elle soit, qui est la source
de tout (19) ».
Shrî Aurobindo a d'ailleurs
laissé une œuvre considérable et fort originale sur les problèmes sociaux, de
l'éducation, de l'art, de la politique nationale et internationale, etc., que
ce n'est pas la place de résumer ici, mais qui forme un tout avec son
enseignement philosophique et yoguique.
Dans son œuvre sur ces derniers
sujets, il a naturellement été obligé d'utiliser un certain nombre de termes
sanskrits pour désigner des concepts que ne connaissent pas les diverses
branches de la philosophie occidentale. Nous les avons laissés subsister dans
la traduction française pour ne pas fausser le sens, nous bornant à rappeler en
appendice les définitions qu'en a données Shrî Aurobindo lui-même. La difficulté
est encore accrue du fait que chacun des termes a toute une gamme de
significations qui, tout en étant parfaitement cohérente, varie selon les
contextes et que chaque sens utilisé au titre principal évoque, pourrait-on
dire, en harmonique, tous les autres sens possibles. Par exemple, l'utilisation
que fait Shrî Aurobindo de certains termes de base comme Brahman, Ishvara,
Purusha et Prakriti, Mâyâ, âtman, jîva, est à la fois souple et différenciée.
Souple parce que, tout en attribuant à ce que représente chacun d'eux une place
et un rôle extrêmement précis, il insiste sur le fait qu'à certains points
chaque entité se fond plus ou moins dans une ou plusieurs autres. Différenciée
parce qu'il distingue non seulement, comme il est de tradition, entre le Brahman
« éternellement stable et immuable (20) » et le Brahman « actif (21) », entre
la Prakriti supérieure et la Prakriti inférieure, entre la Mâyâ force de
connaissance et la Mâyâ force d'ignorance (22), etc., selon les divers rôles
complémentaires et simultanés que joue inévitablement chacune de ces entités.
Il emploie également à divers niveaux selon le contexte certains termes
occidentaux comme le Divin, l'Infini, l'âme, etc.
Une fois surmontés ces
obstacles inhérents à la présentation de tout système métaphysique qui ne veut
pas faire entrer de force toute la Réalité dans les cadres rigides de notre
logique formelle. on se rendra compte que la vision de Shrî Aurobindo est à la
fois complète, cohérente et convaincante et qu'elle écarte les dilemmes auxquels
nous avons coutume de nous heurter dans notre pensée et notre vie. Nous
espérons que les pages qui suivent en donneront au lecteur un résumé fidèle
préparant à l'étude du recueil de citations composant ce volume.
Relevons d'abord que pour Shrî
Aurobindo l'existence de Dieu — ou plutôt du Divin, pour employer le terme
qu'il préfère — qui est affirmée avec insistance dans toutes les Écritures
sacrées, ne saurait faire aucun doute, car elle est non seulement confirmée par
la raison, mais vérifiée dans l'expérience de tous les grands sages
contemporains, de lui-même et de nombre de ses disciples. Mais il n'entend pas
le Divin au seul sens que les religions donnent au terme « Dieu ». Selon la
tradition hindoue multimillénaire, il admet que ce Divin S'offre à nous — à
notre compréhension, à notre amour, à notre culte, à notre vision — sous
différents aspects qui ne s'excluent aucunement les uns les autres. Il est
l'Absolu en lequel n'est aucune différenciation, Il est le Dieu personnel
unique créateur de l'univers et Il est Cela qui se manifeste dans l'univers tel
que nous le voyons. Il peut aussi Se révéler à Son adorateur sous celle des
innombrables formes qu'Il est susceptible de prendre qui répondra le mieux à
l'appel adressé. Et enfin Sa vérité est identiquement la même que notre vérité,
ce qui fait que nous n'avons pas besoin de Le chercher en-dehors de nous.
Pour Shrî Aurobindo comme pour tout
métaphysicien, le problème fondamental de la solution duquel dépend dans une
large mesure la réponse qui sera donnée à tous les autres, est celui de la
Nature, de l'origine et de la raison d'être du monde dans la conscience duquel
nous vivons. C'est à partir de là en effet que l'on peut se pencher sur la
nature de l'homme, sa place dans le monde et ses rapports avec les autres
entités qui se trouvent dans ce monde — et éventuellement en dehors de lui — et
également sur l'évolution et la finalité du monde en général et de l'homme en
particulier.
Nous avons vu que Shrî Aurobindo distingue
entre le concept de la multiplicité — et corrélativement, du mouvement dans le
temps et l'espace — et celui de l'Absolu, de l'unité. Toutes les écoles
hindoues admettent que ce dernier, Brahman, est la source de l'autre, Mâyâ. Les
divergences entre ces écoles portent essentiellement sur la manière dont elles
conçoivent les rapports entre l'un et l'autre, la nature de leur coexistence et
la réalité relative de Mâyâ par rapport à Brahman.
Sur la relation entre la vérité nouménale et
les apparences phénoménales, quelle que soit la terminologie employée, Shrî
Aurobindo ne rejette aucun système religieux, philosophique ou scientifique,
spiritualiste ou matérialiste, ancien ou nouveau, hindou ou occidental. En eux
tous, il reconnaît des descriptions authentiques, mais partielles et «complémentaires
comme le sont tous les opposés (23) » de la vérité vue sur différents plans de
conscience et sous différents jours. « Toutes les vérités, même celles qui
semblent être en conflit, ont leur validité... ; toutes les philosophies ont
leur valeur... ; toutes les expériences spirituelles sont vraies (24). » Il
faut « compléter une vérité par une autre à la lumière d'une vérité unique dont
toutes les autres ne sont que des aspects (25) ». Cependant, « une conviction
d'une irrésistible évidence, une expérience d'une authenticité absolue dans la
réalisation ou l'expérience ne constitue pas une preuve irréfutable de seule
réalité ou de seule finalité (26 ) ». Et c'est pourquoi il faut que toutes ces
vérités « soient conciliées en quelque Vérité plus vaste qui les intègre toutes
(27) ».
Dans le texte du présent volume, nous nous
sommes borné à présenter la métaphysique de Shrî Aurobindo en indiquant
accessoirement les emprunts qu'il a faits à des systèmes antérieurs ; nous
avons laissé de côté les raisons détaillées pour lesquelles il estime que
chacun de ces systèmes ne peut pas être considéré comme fournissant une vue
d'ensemble complète.
Un trait essentiel de sa philosophie est
qu'entre l'unité et la multiplicité, entre le Divin — y compris l'Absolu —
l'âme individuelle, la pensée et la Nature matérielle, entre les lois qui nous
apparaissent comme régissant le monde et ce qui nous paraît leur échapper,
entre notre logique humaine et ce que l'on pourrait appeler une logique divine,
il perçoit non pas une incompatibilité, mais une continuité rigoureuse dans une
parfaite harmonie.
Pour en revenir au problème fondamental,
celui des rapports entre l'Absolu et la manifestation, entre Brahman et Mâyâ,
entre ce que l'Inde du Bouddha et de Shankara considère comme la réalité
nouménale et l'apparence fallacieuse — mais que d'autres écoles considèrent
différemment — Shrî Aurobindo explique cette dualité par le caractère
simultanément statique et dynamique du Brahman auquel nous avons déjà fait
allusion. Il reconnaît que « l'état duel de Brahman, immobile et créateur, est
en vérité l'une des distinctions les plus importantes et les plus fécondes de
la philosophie hindoue ; c'est en outre un fait d'expérience spirituelle (28)
». Mais pour lui « la conscience active de Brahman et sa conscience passive ne
sont pas deux choses différentes, opposées et incompatibles ; elles sont la
même conscience, la même énergie, à une extrémité se mettant en réserve, à
l'autre, jetée dans le mouvement de se donner et de se déployer — comme
l'immobilité d'un réservoir et le courant de ses canaux d'écoulement (29) ». «
Bien que nous fassions la distinction pour la commodité de notre mental, il n'y
a pas un Brahman actif et un Brahman passif, mais un seul Brahman, une [seule]
existence (30). »
Ainsi Mâyâ n'est autre que l'aspect dynamique
de l'Absolu « non différencié » (nirguna Brahman), sa « force d'être qui
manifeste son propre pouvoir en action (31) », « l'unique Connaissance-Volonté
divine (32) », ce que l'Inde appelle Adyâ-Shakti (33), la « Puissance
consciente de l'Etre divin, qui est à la fois conceptuellement créatrice et
dynamiquement exécutrice de toutes les activités divines (34) ».
On peut dire que c'est là une des idées de
base de toute la philosophie de Shrî Aurobindo ; elle se retrouve dans toute
son œuvre comme une sorte de leitmotiv. Pour désigner l'ensemble de ces deux
aspects du Brahman, Shrî Aurobindo, reprenant la terminologie de la
Bhagavad-Gîtâ, admet le concept d'une entité primordiale qui les coiffe tous deux
sans d'ailleurs en être différente, le Purushottama, sur lequel nous
reviendrons, qui est « à la fois au-delà de l'unité et de la multiplicité (35)
», à la fois actif et non actif, à la fois Etre et Devenir.
Qu'en est-il alors de la création ? Elle n'est
pas l'acte, situé dans le temps, d'une « Divinité extra-cosmique qui aurait
créé un monde extérieur à sa propre existence et séparé d'elle (36) », mais,
selon le concept hindou, une « projection » (srishti). « Nous pouvons parler de création en ce sens seulement que l'Etre
devient en forme et en mouvement ce qu'il est déjà en substance et en état (37).
» On peut ainsi comparer la création à partir de l'indifférencié à un acte de
courage émanant d'un homme courageux ou à une guérison opérée par l'utilisation
d'une plante médicinale (38).
Le passage du Brahman dynamique à l'univers
dans lequel se situe « l'être phénoménal (39) », l'homme sur son plan de
conscience habituel, est constitué par une progressive involution de l'unité
dans la division et la multiplicité qui en découlent. Cette involution comporte
sept « registres » différents, dans la nature et les rapports mutuels desquels
Shrî Aurobindo trouve l'explication la plus satisfaisante à la fois des aspects
de la Réalité que nous percevons et de ceux qui nous sont actuellement cachés,
mais dont une discipline yoguique appropriée nous permet de constater
l'existence.
Les trois registres supérieurs sont
constitués par le triple-en-un Sachchidânanda, Existence-Conscience-Béatitude
suprême, « en qui n'est nulle distinction séparatrice (40) », mais dont on peut
néanmoins distinguer trois aspects : Sat (existence), Chit, que Shrî
Aurobindo préfère appeler Chit-Shakti
(force-conscience), car « la conscience absolue est en sa nature puissance
absolue ; la nature de Chit est Shakti
(41) » et Ananda (béatitude ou félicité).
Les trois registres inférieurs, que l'on peut
considérer comme des manifestations ou descentes à un niveau de plus grande
division des trois registres supérieurs, sont le plan mental, le plan vital et
le plan matériel, qui d'ailleurs s'interpénètrent sur une grande partie de
leurs étendues respectives.
Permettant le passage des trois plans
supérieurs aux trois plans inférieurs, on trouve enfin un septième plan, le
plan supramental ou « Gnose divine (42) », qui joue le rôle de « chaînon
intermédiaire (43) ».
Mais « les sept principes de l'existence ...
sont un en leur réalité essentielle et fondamentale ... et sont inséparables
aussi dans la septuple variété de leur action (44) ».
Dans ses divers ouvrages, et en particulier
dans « la Vie divine », Shrî Aurobindo s'engage dans une description
minutieusement détaillée de ces plans, de leurs différents aspects, de leurs
rapports de nature, de leur continuité et de leur interaction.
Le fait que ces divers plans ne sont pas
isolés les uns des autres, que chacun d'eux est imprégné de ceux qui le
précèdent ou l'accompagnent et à son tour imprègne ceux qui l'accompagnent ou
le suivent, le fait aussi que l'ascension depuis la matière jusqu'au Supramental
est conditionnée et rendue possible — et même inévitable — par la descente
depuis le Supramental jusqu'à la matière, « dernier terme de la descente [et]
premier terme de la montée (45) » font que chaque plan ne peut pas être
considéré sans tenir compte de ses rapports avec les autres. Par ailleurs,
chacun d'eux comporte une multitude d'aspects ou de niveaux entre lesquels il
n'est pas possible de tracer une ligne de démarcation aussi nette que notre
intellect humain le souhaiterait. Si l'on se heurte déjà à ce genre de
difficultés lorsqu'on veut décrire un élément ou un événement de la Nature dont
nous avons l'expérience, il ne faut pas s'étonner que ces difficultés soient
infiniment plus graves lorsqu'on veut décrire l'ensemble de tous les « mondes
d'existence (46) », visibles et invisibles, leur origine et leur fonctionnement.
D'autre part, si notre logique occidentale habituelle convient pour l'étude du
monde matériel, elle est déjà beaucoup moins adaptée à l'étude du monde mental,
et elle doit être considérablement prolongée, élargie et assouplie pour se
mettre à l'échelle des problèmes métaphysiques qui relèvent essentiellement de
perceptions spirituelles.
Cela est d'autant plus nécessaire dans
l'étude des exposés de Shrî Aurobindo que celui-ci, d'une façon générale,
n'applique pas notre logique occidentale des incompatibilités, mais la logique
orientale des complémentarités. Ainsi il relève avec insistance au sein de
l'unité, « maître-principe dont la division n'est qu'un terme subordonné (47)
», la présence d'éléments ou de rapports que nous considérons habituellement
comme des contraires inconciliables. La tradition védântique, à laquelle il se
rattache, admet des relations qui n'ont rien de linéaire, notamment lorsqu'elle
s'exprime en termes de mythologie. Agni, disent les Ecritures, est le fils des
Dieux, et il est aussi leur père (48).
Pour aborder l'examen de ces divers plans, il
peut être préférable de commencer par ceux dont nous avons - si partiellement
que ce soit - conscience en temps normal, c'est-à-dire la Matière, la Vie et le
Mental. Il faut avant tout observer que chacun d'eux est en soi fort complexe
dans sa nature et son jeu, ce qui oblige, pour l'étudier, à y pratiquer des
divisions.
Pour ces trois plans, Shrî Aurobindo reconnaît
comme valable une théorie fondamentale de la philosophie sâmkhienne selon
laquelle, dans le jeu de « la Nature ou Force rendue dynamiquement exécutrice,
Prakriti (49) », c'est-à-dire sur ces trois plans, l'existence même résulte
d'un déséquilibre entre trois éléments, les trois gunas : «le principe
d'inertie, le principe cinétique et le principe d'équilibre, de lumière et
d'harmonie (50) », tamas, rajas et sauva.
Relevons en passant que même si le Temps «
est une manifestation de l'Eternel (51) », ce n'en est pas moins sur les plans
inférieurs, ceux « de relativités et de possibilités (52) », qu'apparaissent
temps, espace et causalité, « une succession dans le temps, un rapport dans
l'espace et une interaction réglée de choses inter-reliées dans l'espace à quoi
la succession de temps donne l'aspect de causalité (53) ».
Qu'est-ce que la Matière ? La Mundaka
Upanishad (54), à laquelle se réfère Shrî Aurobindo, nous dit : « Par l'énergie
constante en action (tapas) Brahman
s'est condensé ; de cela naît la Matière (55). » Or, « ce qui pour nous
représente le mieux la matérialité de la Matière, ... ce sont ses aspects de
solidité, de palpabilité, de résistance croissante, de ferme réaction au
toucher de la faculté sensorielle (56) ».
Certes, le principe matériel est « le
principe le plus bas (57) », « la Matière est ... le dernier stade qui nous
soit connu dans la progression de la substance pure vers une base de rapports
cosmiques où le mot clef ne sera pas l'esprit, mais la forme (58) ». Cependant,
« même dans la formule du cosmos physique, il y a dans l'échelle de la Matière
une série ascendante qui nous conduit du plus dense au moins dense, du moins
subtil au plus subtil (59) », et à l'extrémité de cette échelle, derrière la
Matière telle que nous la percevons, il y a « l'être physique subtil (60) ».
Quoique l'inertie soit « le principe
fondamental de la Matière (61) », celle-ci « n'est inerte (jada) qu'en apparence (62)». Bien que «
l'existence matérielle [ait] une individualité seulement physique, et non
mentale ... il y a en elle une Présence subliminale, le Conscient unique dans
les choses inconscientes, qui détermine le travail des énergies qui l'habitent
(63) ». Car la conscience — qu'il ne faut pas identifier « avec la mentalité et
la prise de conscience mentale (64) » - « peut exister là même où il n'y a
point d'activités ouvertes, point de signes qui la révèlent (65) ».
Chez l'homme, dans la « matière grossière »,
c'est « la conscience obscure propre aux membres, aux cellules, aux tissus, aux
glandes, aux organes (66) ». Mieux encore, « si nous regardons les choses
froidement il est certain [qu'il existe] dans la plante et aussi dans le métal
une force à laquelle on peut donner le nom de conscience bien qu'elle ne soit
pas la mentalité humaine ou animale à quoi l'on a réservé jusqu'alors le
monopole de cette appellation (67) ». Et cela « bien que dans le métal il n'y
ait pas d'agitation corporelle correspondant à la réaction nerveuse (68)».
Si dans les trois registres inférieurs la
Matière peut être considérée comme une descente du Sat, qui est l'un des trois registres supérieurs, la Vie peut, selon Shrî
Aurobindo, être de même considérée comme une descente de Chit-Shakti, la Force-consciente.
« La vie n'est rien autre que la Force qui
érige, maintient et détruit des formes dans le monde (69). » C'est « la force
universelle à l'œuvre pour créer, dynamiser et modifier, jusqu'au point de les
dissoudre et de les reconstruire (ce qui est très précisément dans la
mythologie hindoue le rôle du Destructeur-Recréateur, Shiva) des formes de
substance avec, comme caractère fondamental, le jeu mutuel, l'échange
réciproque d'une énergie ouvertement ou secrètement consciente (70) ».
La Vie « n'est pas une entité ou un mouvement
séparé, mais a derrière elle toute la Force-consciente dans chacune de ses
opérations, et c'est cette Force-consciente seule qui existe et agit dans les
formes créées (71) ». « La Vie est le jeu dynamique d'une Force universelle,
Force en laquelle la conscience mentale et la vitalité nerveuse sont toujours
inhérentes sous quelque forme ou au moins dans leur principe ... Le jeu vital
de cette force se manifeste comme un échange mutuel d'excitations et de
réactions entre les différentes formes qu'elle a érigées et en quoi elle conserve
sa constante pulsation dynamique (72). »
Si le plan vital est celui qui joue le rôle
dominant chez les végétaux et les animaux inférieurs, la Vie n'en existe pas
moins aussi « en notre univers matériel », mais elle y est « subconsciente,
submergée, emprisonnée en la matière (73) ». « La force qui construit et
constitue l'atome ... est fondamentalement le chit-tapas ou Chit-Shakti du Védânta, conscience-force, force-consciente inhérente à l'être
conscient, qui se manifeste dans la plante comme énergie e nerveuse pleine de
sensation " submentale ", dans les formes animales primaires comme
désir-sens et désir-volonté, dans l'animal évolué comme volonté et force
consciente de soi, dans l'homme comme volonté et connaissance mentales
couronnant tout le reste (74). »
Il est à peine besoin de relever que la Vie
ainsi comprise n'a rien de commun avec celle que dans le langage courant nous
opposons à la mort. « La mort n'a de réalité qu'en tant que processus de vie.
Désintégration de substance et renouvellement de substance, persistance de la
forme et changement de la forme sont le processus constant de la vie ; la mort
n'est qu'une désintégration rapide résultant de cette nécessité pour la vie de
changer, de varier son expérience formelle. Même dans la mort du corps, il n'y
a pas cessation de la vie ; seulement les matériaux d'une forme de vie sont
désagrégés pour servir de matériaux à d'autres formes de vie (75). »
Le plan mental est un plan beaucoup plus
complexe, auquel Shrî Aurobindo s'intéresse tout particulièrement. En effet, il
est celui des plans inférieurs qui est le plus proche des plans supérieurs, il
joue chez l'homme un rôle prépondérant et, pour ces deux raisons, il est celui
sur lequel doit surtout s'appuyer l'homme dans son évolution.
Néanmoins, comme nous l'avons vu, l'homme
n'en a pas l'apanage exclusif. Nous parlerons cependant de ce plan plus en
détail lorsque nous examinerons la place et le rôle des différents plans chez
l'homme. Ici nous nous bornerons à en indiquer la nature essentielle.
Ce plan mental « de la conscience universelle
(76)», de la « conscience cosmique (77) », qui se manifeste ainsi partout à des
degrés divers n'est autre que le « Mental cosmique (78) », le « Mental
universel (79)», ce Mental qui est « réellement une activité et un appareil
secondaires de la Vérité-consciente (80) ». Il « est actuellement l'activité
principale de la Conscience-Force dans nos rapports avec le moi, le monde et la
Nature (81) ».
Et cette activité ne s'étend pas seulement au
jeu du monde, mais intervient aussi, dans un certain sens, dans sa création. «
C'est un Mental subconscient [à l'homme] ou une Intelligence subconsciente [à
l'homme] qui, manifestant la Force comme sa puissance motrice, sa Nature
exécutrice, ... a créé ce monde matériel (82). » « Ce n'est pas une loi
éternelle et originelle d'une éternelle et originelle Matière qui est la cause
de l'existence atomique, c'est la nature de l'action du Mental cosmique (83). »
Son procédé pour « créer ce monde matériel », c'est de « transformer la
multiplicité de l'Un en une division apparente par laquelle les rapports sont
définis et maintenus séparés l'un de l'autre de telle sorte qu'ils puissent se
retrouver et se rejoindre ... Il doit rendre l'Un capable de se comporter comme
s'Il était un être individuel en rapports avec d'autres êtres individuels, mais
toujours en Sa propre unité (84) ». D'ailleurs « ce que nous nommons ... le
Mental, [c'est] la vie de pensée,
de sentiment, de volonté, d'impulsion consciente (85) » qui
implique la conscience d'une dualité plus ou moins absolue.
Cependant le Mental ne pourrait pas procéder
à son oeuvre de division, de création du monde de la multiplicité, s'il
provenait directement des trois plans supérieurs que constitue
l'unique
Sachchidânanda. Pour « relier l'hémisphère supérieur (parârdha) à l'hémisphère inférieur (aparârdha) de l'unique Existence (86) », il faut un
intermédiaire où se rejoignent l'unique en et le multiple, mais qui soit en
rapport avec le Mental. C'est précisément ce que Shrî Aurobindo appelle le
Supramental, qui est « au-delà du Mental (87) », « derrière l'action de
division du Mental (88)», de ce Mental qui, tout « obscurci [qu'il soit] par
l'ignorance (89) », ne « recèle [pas moins] en lui la potentialité du
Supramental [et doit même] toujours être identique en essence
avec le Supramental (90) ».
On pourrait donc dire que la création par le
Mental n'est qu'une création secondaire qui ne saurait exister et durer sans
s'appuyer sur une création originelle relevant directement de l'Unique. C'est
dans le Supramental que se situe cette création originelle.
Ce Supramental « est un principe de Volonté
et de Connaissance actives, supérieur au Mental et créateur des mondes, qui est
le pouvoir et l'état d'être intermédiaire entre cette possession de soi de l'Un
et ce flux du Multiple (91) ». Si « primordialement le Supramental englobe
tout, [et] la différenciation n'est que son acte secondaire (92) », « le
Supramental ou Vérité-Conscience est [néanmoins] le réel agent créateur de
l'universelle Existence (93)».
« Le Supramental, la Vérité-Consciente,
l'Idée-Réelle, qui connaît soi-même et tout son devenir, [c'est] ce qui
contient et soutient la diffusion, l'empêchant d'être une réelle désintégration,
qui maintient l'unité dans l'extrême diversité, la stabilité dans l'extrême
muabilité, qui insiste sur l'harmonie dans cette apparence de lutte et de
conflit qui pénètre tout, qui conserve le cosmos éternel alors que le Mental
arriverait seulement à un chaos s'efforçant éternellement de se donner forme (94).
»
« Dans le principe du Supramental, la
Conscience divine prend trois de ces équilibres généraux, trois de ces assises
de conscience sur lesquelles repose le monde. Le premier est le fondement de
l'inaltérable unité des choses ; le deuxième mitige cette unité de façon à
soutenir la manifestation du Multiple dans l'Un et de l'Un dans le Multiple ;
le troisième la modifie encore davantage de façon à soutenir l'évolution d'une
individualité diversifiée qui, par l'action de l'ignorance [de la Réalité],
devient en nous, à un niveau inférieur, l'illusion de l'ego séparé (95). » «
Nous ne pouvons considérer comme faux ou illusoire aucun de ces trois
équilibres (96). »
Même cette entremise du Supramental entre «
les deux hémisphères de l'Existence universelle » ne suffit cependant pas
encore à tout expliquer. Shrî Aurobindo décèle entre le Supramental et le
mental un échelon intermédiaire secondaire, auquel il donne le nom de
Surmental,, et qui « procède par une illimitable faculté de séparation et de
combinaison entre les pouvoirs et aspects de l'Unité intégrale indivisible, ...
prend chacun de ces aspects ou pouvoirs et lui assigne une action indépendante (97)
».
« Dans sa nature et sa loi, ce Surmental est
un délégué tic la Conscience supramentale (98). » C'est un « pouvoir de
conscience cosmique, principe de connaissance globale qui porte en lui une
lumière déléguée provenant de la gnose supramentale ... même lorsqu'en son
action il est sélectif et non total (99) », mais qui néanmoins « n'est qu'une
puissance de l'hémisphère inférieur, bien qu'il en soit la puissance la plus
haute ; sa base est une unité cosmique, mais son action est une action de
division et d'interaction, une action qui s'appuie sur le jeu de la
multiplicité (100) ». Seule « une ligne sépare le Surmental du Supramental, et
cette ligne permet une libre transmission, laisse la Puissance inférieure tirer
de la Puissance supérieure tout ce qu'elle tient et tout ce qu'elle voit, mais
automatiquement elle impose au passage une modification de transaction (101) ».
Si « le Surmental conserve encore le sens de
cette Unité sous-jacente qui est pour lui la base sûre de l'expérience indépendante
(102) », si « la conscience surmentale ... porte en soi une cognition première,
directe et magistrale de la vérité cosmique (103) », « selon la loi surmentale
... chaque Force réalise ses propres possibilités (104) ».
C'est pourquoi « ce qui pour la raison
mentale est divergences inconciliables se présente à l'intelligence du
Surmental comme corrélatifs coexistants (105) ». « La base et la justification
de la cognition surmentale, c'est sa volonté de porter chaque aspect, chaque
pouvoir, chaque possibilité jusqu'à sa plénitude indépendante (106). »
Donc, « pour le Surmental ...
toutes les religions seraient vraies en tant que développement de l'unique
religion éternelle, toutes les philosophies seraient valables, chacune dans son
propre domaine, comme affirmation de sa propre vision de l'univers, de son
propre point de vue, toutes les théories politiques et leur élaboration
pratique seraient l'élaboration légitime d'une Force-Idée qui a droit à sa
réalisation et à son développement pratique dans le jeu des énergies de la
Nature (107) ».
Ce qui fait en particulier que
le Surmental est le domaine des dieux personnels que connaissent les diverses
religions (108) et qui « ne sont que des représentations limitées, des noms,
des personnalités divines de l'unique Ishvara (108 bis) ».
Sur les trois registres
supérieurs, Sat, Chit-Shakti et Ananda, sur ce « Sachchidânanda supra-cosmique et suprême [qui] est au-dessus
de tout (109) », Shrî Aurobindo donne moins d'explications que sur les autres,
et sans doute y a-t-il beaucoup moins à en dire, car en « la conscience
indivisible et unitaire du pur Sachchidânanda ... n'est nulle distinction
séparatrice ... [Il y a] au-dessus la formule de l'Un éternellement stable et
immuable, au-dessous la formule du Multiple ... éternellement muable ; ... au
milieu, le siège de toutes trinités, de tout ce qui est duel, de tout ce qui
devient Multiple-en-Un et cependant demeure Un-en-Multiple parce que c'était
originellement l'Un qui est toujours potentiellement Multiple (110) ».
Entre Sat (Existence), Chit-Shakti (Conscience-Force) et Ananda (Félicité, Délice), Shrî Aurobindo dégage
cependant certains rapports. Il écrit notamment : « L'Existence est en sa
nature Conscience et Force, mais le troisième terme en quoi celles-ci, ses deux
éléments constituants, se rencontrent, deviennent un et trouvent leur ultime
accomplissement, c'est le Délice satisfait de l'existence en soi (111). » De ce
Délice, il dit aussi : « Amour, Joie et Beauté sont les déterminés fondamentaux
du divin Délice d'Existence, et nous pouvons voir d'emblée qu'ils sont la
substance même, la nature même de ce Délice (112). »
C'est en l'existence de ce
Délice-Félicité-Béatitude, Ananda — élément,
potentialité ou action du Brahman dynamique — que Shrî Aurobindo voit la raison
pour laquelle sont apparus l'univers et l'homme tels que nous les connaissons.
« Pourquoi ce Brahman parfait, absolu, infini, n'ayant besoin de rien, ne
désirant rien, projetterait-il une forme de conscience pour créer en soi ces
mondes de forme ? ... Nous avons écarté la solution Belon laquelle il est
contraint de créer par sa propre nature de force, obligé d'entrer en des formes
par sa propre potentialité de mouvement et de formation. Il est vrai qu'il a
cette potentialité, mais il n'est pas limité, lié ou obligé par elle ; il est
libre. Si donc, étant libre de se mouvoir ou de demeurer éternellement
immobile, de se projeter en des formes ou de garder en soi la potentialité de
la forme, il fait jouer son pouvoir de mouvement et de formation, ce ne peut
être que pour une seule raison — la félicité. Cette existence première, ultime
et éternelle, telle que la voient les védântistes, n'est pas seulement pure et
simple existence, ni une existence consciente dont la conscience soit force ou
puissance brute ; c'est une existence consciente qui a la béatitude pour terme
même de son être, pour terme même de sa conscience (113) . »
Comment ces divers plans
jouent-ils dans l'homme, dans l'être Individuel ?
Au niveau de l'unité, Shrî
Aurobindo admet sans réserve l'axiome fondamental de l'Hindouisme, celui de
l'identité absolue Atman = Brahman, « le microcosme est un avec le macrocosme (114)
». « Brahman la Réalité apparaît dans l'existence phénoménale comme le Moi de
l'individu vivant (115). » Par conséquent les différents plans existent et
agissent chez l'homme Individuel comme dans l'univers. Cette identité de base
dans le domaine de l'unité n'exclut évidemment pas un parallélisme dans le
domaine de la multiplicité — qui est réel, même si sa réalité est « dérivée et
conditionnelle (116) ».
La distinction entre Atman et
Brahman ne semble guère encore se faire au niveau de Sachchidânanda, mais dans
le monde de la différenciation, c'est-à-dire essentiellement sur les trois
plans inférieurs (mental, vital et physique) dont nous sommes normalement
conscients et où l'homme ne se confond plus avec l'ensemble de « la
manifestation cosmique (117) », dont il n'était pas dissocié dans l'Absolu «
sans espace ni temps (118) ». Dans ce monde de la différenciation « chaque
chose et chaque être ont leur forme d'être essentiel et leur forme d'être
dynamique, svarûpa, svadharma (119) ». Il y existe donc en fait des
rapports entre les individus, entre l'individu et la Nature, entre l'individu
et le Divin.
Aussi faut-il considérer
séparément « l'homme superficiel ou apparent [et] l'homme réel (120) », ce que
l'homme a conscience d'être et ce qu'il est sans en être conscient, ou mieux
encore la partie de lui-même dont il est normalement conscient et l'autre
partie de lui-même dont il ne l'est pas. « Nous ne sommes pas seulement ce que
nous connaissons de nous-même, mais infiniment plus que nous ne connaissons pas
; notre personnalité momentanée n'est qu'une bulle sur l'océan de notre
existence (121). » « Il doit y avoir — et il y a en fait — par-derrière cela
une existence plus grande et plus vraie dont celle-ci n'est que le résultat
extérieur et l'aspect physiquement perceptible (122). »
Nous retrouvons ainsi sur le
plan de l'être humain la même distinction que nous avons trouvée sur le plan
cosmique avec le Brahman immuable et le Brahman rouable. Ici Shrî Aurobindo,
conformément à la tradition hindoue, désigne ces deux niveaux par le terme de
Purushas. « La difficulté, dit-il, qui déconcerte notre intelligence est que
ces deux Purushas semblent être d'inconciliables contraires, sans lien réel
entre eux ... Quand nous vivons dans la mobilité du devenir, nous pouvons bien
être conscients de l'immortalité de l'existence en soi, hors du temps, mais
nous ne pouvons guère vivre en elle. Et quand nous nous fixons dans l'être hors
du temps, le Temps, l'Espace et les circonstances tombent et se détachent de
nous et commencent d'apparaître comme un rêve troublé dans l'Infini (123). »
Là encore, Shrî Aurobindo
adopte la solution et le vocabulaire offerts par la Bhagavad-Gîtâ, qui coiffe
les deux Purushas, kshara et akshara, par un troisième, le Purushottama, « le
Brahman suprême, le Moi suprême, qui possède ensemble l'unité immuable et la
multiplicité mobile (124) », qui « est à la fois akshara et kshara, et
cependant ... est autre parce qu'il est plus et plus grand que chacun de ces
opposés (125) ». Il est à la fois « maître du silence et de la paix, maître de
la puissance et de l'action (126) ». Il est « par-delà le personnel et
l'impersonnel et ... les concilie sur ses éternels sommets (127) ».
En ce qui concerne l'homme vivant
sur les trois plans inférieurs du physique, du vital et du mental, il y a lieu
d'examiner les rapports entre ces trois plans, entre eux et le cosmos, entre
eux et le Surmental et le Supramental.
Pour étudier l'homme, cet être
mental par excellence, il est sans doute préférable de commencer par le plan
mental, celui de ce « souverain enchaîné et entravé de notre vie humaine (128)
».
« Le véritable rôle du Mental
est de recevoir la vérité des choses et de la distribuer selon la perception
infaillible d'un Œil et d'une Volonté universels et suprêmes. Il doit maintenir
une individualisation de conscience, de félicité, de force, de substance
actives, tirant toute sa puissance, sa réalité et sa joie d'une universalité
inaliénable qui se tient derrière elle ... Il doit établir le délice de la
séparation et du contact au sein même d'une unité et d'une interpénétration
éternelles (129). »
Cependant, « le Mental est un
instrument d'analyse et de synthèse, mais non de connaissance essentielle. Sa
fonction est de découper vaguement quelque chose de la Chose inconnue en soi,
d'appeler ce découpage, cette délimitation le tout, puis d'analyser encore ce
tout en ses parties qu'il considère comme des objets mentaux séparés. Ce sont
seulement les fragments, les accidents, que le Mental peut voir nettement et, à
sa propre manière, connaître. Du tout, sa seule idée est un assemblage de
morceaux ou une somme de propriétés ou d'accidents. Le tout vu autrement que
comme une partie de quelque chose d'autre ou en ses propres parties, propriétés
ou accidents, n'est au mental rien de plus qu'une perception vague ; c'est
seulement quand il est analysé et isolé comme objet constitué séparé, une
totalité dans une totalité plus vaste, que le Mental se dit : "Cela,
maintenant je le connais". Et en vérité il ne le connaît pas. Il ne
connaît que sa propre analyse de l'objet et l'idée qu'il en a formée par une
synthèse des parties et propriétés isolées qu'il a vues (130) ».
Or, « puisque tout l'être est
interdépendant, la connaissance du tout ou de l'essence est nécessaire à la
connaissance juste de la partie. D'où un élément d'erreur en toute connaissance
humaine (131) ».
« Le Mental est en son essence
une conscience qui mesure, limite, découpe des formes de choses dans le tout
indivisible et les contient comme si chacune était une entité séparée ... Même
quand il sait que ce ne sont pas des choses en soi, il est obligé de les
traiter comme si elles étaient des choses en soi ; sinon il ne pourrait les
soumettre à sa propre activité caractéristique ... Il conçoit, perçoit, sent
les choses comme si elles étaient découpées rigidement d'un arrière-plan ou
d'une masse, et il les emploie comme des unités établies d'un matériel à lui
donné pour sa création ou sa possession. Toute son action et sa jouissance
s'appliquent ainsi à des touts qui font partie d'un tout plus vaste, et ces
touts secondaires, à leur tour aussi, sont fragmentés en parties qui sont
également traitées comme des touts en vue de leur dessein particulier. Le
Mental a beau diviser, multiplier, additionner, soustraire, il ne peut dépasser
les limites de cette mathématique ... Car si le Mental semble parfois
concevoir, percevoir, sentir ou goûter avec possession l'infini, c'est
seulement en apparence, et c'est toujours une représentation de l'infini. Ce
qu'il possède ainsi vaguement n'est qu'un Vaste sans-forme et non point le réel
infini non spatial. Dès qu'il essaie de saisir celui-ci, de le posséder,
aussitôt intervient son inaliénable tendance à la délimitation, et le Mental se
retrouve maniant des images, des formes et des mots. Le Mental ne peut posséder
l'infini, il ne peut que le subir ou être possédé par lui. Cette faculté
essentielle et la limitation essentielle qui l'accompagne sont la vérité du
Mental et fixent sa nature et son action réelles, svabhâva et svadharma ... Ce rôle est de toujours traduire l'infinité en termes de fini, de
mesurer, de limiter, de morceler (132). »
Dans le mental de l'homme,
c'est-à-dire au-dessus du subconscient, « base submentale de l'être ... composé
d'impressions, d'instincts, de mouvements habituels qui y sont emmagasinés (133)
», Shrî Aurobindo distingue un grand nombre de niveaux différents, parmi
lesquels il faut citer :
Tout en bas de l'échelle, le
mental mécanique, qui est comme la conscience « d'un animal, soit obscur et
agité, soit inerte et stupide (134) » et se borne « à répéter des idées
courantes, à enregistrer les réflexes naturels de la conscience physique au
contact de la vie et des choses extérieures (135) ».
Ce « mental mécanique est une
action très inférieure du mental physique (136) » ou « mental sensoriel (137) »
ou « mentalité corporelle (138) », qui « mentalise les expériences apportées
par les contacts de la vie et des choses extérieures et ne va pas plus loin - encore
qu'il puisse faire cela très habilement (139) ».
Au-dessus de lui se trouve le
mental vital, « sorte de médiateur entre l'émotion, le désir, l'impulsion, etc.
vitaux et le mental propre (140) ». Il est « un instrument de désir, ne se
contente pas du manifesté [comme le mental physique], traite de possibilités
non réalisées (141)». Sa fonction « n'est pas de penser et de raisonner, de
percevoir, considérer et découvrir ou évaluer des choses ... mais de projeter,
de rêver, d'imaginer ce qui sera
fait (142) ». Au-dessus encore se trouve le mental ordinaire, qui « est
à son plus haut point l'intelligence libre ... reçoit peut-être des intuitions
et des intimations d'en-haut et les intellectualise (143) ». il se décompose en
trois éléments, correspondant chacun à un ordre d'opérations :
Le mental pensant ou buddhi,
qui « s'occupe d'idées et de connaissance en soi (144)» et « vit, si
imparfaitement que ce soit chez l'homme, par l'intelligence et la raison (145)
», « enquête sur tout, doute de tout, construit des affirmations et les détruit
..., affirme le témoignage des sens et le met en doute, poursuit jusqu'au bout
les conclusions de la raison, mais les défait pour arriver à des conclusions
différentes. [A la suite de quoi] le mental physique ... perd la conviction de
ses certitudes objectives ... le mental vital ... trouve que tout est tourment
et vanité (146) ».
Ensuite le mental dynamique,
qui « s'occupe de l'émission des forces mentales pour la réalisation de l'idée (147)
».
En troisième lieu, le mental
extériorisateur, qui « s'occupe de l'expression des forces mentales dans la vie
(148) ».
Allant toujours plus haut, on
trouve le mental spirituel, ainsi désigné par « un terme général embrassant les
domaines du mental qui deviennent notre champ lorsque nous allons au-dedans vu
que nous nous élargissons en la conscience cosmique (149) ».
Au niveau « le plus bas » de ce
mental spirituel est ce que Shrî Aurobindo appelle le mental supérieur, qui est
« un début ... de la conscience mentale spirituelle ` ». Ce « mental supérieur
(manomaya purusha) est capable de
percevoir les autres âmes comme d'autres formes de son moi pur, et de les
traiter comme telles ; il est capable de les sentir par une communion et un
choc purement mentaux .., il conçoit également une image mentale de l'unité ...
Et pourtant cette mentalité pure n'échappe pas encore à l'erreur originale du
mental. Car c'est encore de son moi mental qu'elle fait le juge, le témoin et
le centre de l'univers (150) ».
A son plus haut niveau, le mental
spirituel n'est pas seulement le mental illuminé, parfois appelé vijnâna, qui est « l'Intelligence supérieure en
communication avec la Vérité (152) », c'est « un mental qui, dans sa plénitude,
est conscient du Soi, reflète le Divin, voit et comprend la nature du Soi et
ses rapports avec la manifestation (153) ». « Il peut, de par l'influx
spirituel, s'élargir et embrasser le monde entier avec le coeur et le mental en
une intime communion, une intime unité. Ou bien il peut prendre conscience de
son éternel Compagnon et choisir de vivre à jamais en Sa présence (154). »
Ce vaste éventail de niveaux
auxquels le Mental se manifeste chez l'homme montre que « nos limitations
existantes ne présentent aucun caractère de nécessité inéluctable. Elles sont
le résultat d'une évolution où le mental a pris l'habitude de s'en remettre à
certains fonctionnements psychologiques et à leurs réactions comme moyen normal
pour lui d'entrer en relation avec l'univers matériel (155) ». « Nous pouvons
être certains que les anciens penseurs avaient raison lorsqu'ils soutenaient
que, même en notre état de veille, ce que nous appelons notre conscience n'est
qu'une faible fraction de notre être conscient intégral. C'est une surface, ce
n'est même pas notre mentalité tout entière. Derrière elle, beaucoup plus vaste
qu'elle, est un mental subliminal ou subconscient qui est la plus grande partie
de nous-mêmes et contient des hauteurs et des profondeurs qu'aucun homme n'a
encore mesurées ni sondées (156). »
Il est vrai que « le Mental tel
que nous le connaissons ne crée qu'en un sens relatif et instrumental ; [mais
s'il n'a qu'] un pouvoir illimité de combinaison, ... ses mobiles et formes
créateurs lui viennent d'en-haut ; toutes les formes créées, depuis les
infinitésimales, ont leur base dans l'Infini, au-dessus du Mental, de la Vie et
de la Matière, et sont ici représentées, reconstruites — le plus souvent mal
reconstruites. Leur base est au-dessus, leurs branches descendent, dit le
Rig-Véda. [Il y a donc] un Mental supraconscient ... qui pourrait être appelé
plutôt Sur-mental, et se tient dans l'ordre hiérarchique des pouvoirs de
l'Esprit en une région dépendant directement de la conscience supramentale (157)
».
Mais ce n'est pas tout. « Il
est possible pour le Mental de monter au-delà de lui-même jusqu'à certains
sommets ou plans de conscience qui reçoivent en eux quelque lumière ou
puissance modifiées de la conscience supramentale, et de connaître celle-ci par
une illumination, une intuition, un contact direct ou une expérience directe —
bien que vivre en elles et fonder sur elles vision et action soit une victoire
qui n'a pas encore été rendue humainement possible (158). »
Il faut aussi dire quelques
mots du rôle que joue en l'homme la manifestation du Mental cosmique, qui « est
un plan d'Ignorance, mais ce n'est pas ... un plan de mensonge ou d'erreur ...
Il y a limitation de la connaissance, organisation de vérités partielles, mais
ni rejet de la vérité et de la connaissance, ni leur opposé (159) ». De lui «
naissent des pensées, des perceptions, des impulsions volontaires et des
sentiments mentaux (160) ». Nous avons déjà vu que « le Mental, par sa nature
même, tend à connaître et à percevoir par les sens cette substance
d'être-conscient, non pas en son unité ou en sa totalité, mais par le principe
de division. Il la voit, en quelque sorte, en points infinitésimaux qu'il
associe entre eux afin d'arriver à une totalité, et le Mental cosmique se jette
en ces points de vue et ces associations et demeure en eux ... Le Mental cosmique
fait de ces points de vue multiples de l'existence universelle des positions de
la vie universelle ... Chacun de ces agrégats, imprégné de la vie cachée qui
les forme, du mental et de la volonté cachés qui les mettent en action, porte
avec soi la fiction d'une existence individuelle séparée (160 bis)».
Ce que nous avons dit dans les
pages précédentes du plan vital et du plan matériel dans le cosmos s'applique
également à ces plans dans l'être humain.
En ce qui concerne le plan
matériel, relevons cependant que pour Shrî Aurobindo, « derrière notre corps
est une existence matérielle plus subtile qui fournit la substance, non
seulement de notre enveloppe physique, mais aussi de nos enveloppes vitale et
mentale, et qui est par conséquent notre substance réelle soutenant la forme
physique que nous imaginons à tort être tout le corps de notre esprit (161) ».
Quant au plan vital, Shrî
Aurobindo voit dans « la vie individuelle ... un jeu particulier d'énergie
spécialisée pour constituer, maintenir, dynamiser et enfin dissoudre, une fois
son utilité révolue, l'une des myriades de formes qui toutes servent, chacune
selon sa place, son temps et sa portée, le jeu intégral de l'univers (162) ».
Dans notre « être vital », il
distingue « quatre parties d'abord le vital mental, qui donne une expression
mentale, par la pensée, la parole ou autrement, aux émotions, désirs, passions,
sensations et autres mouvements de l'être vital ; le vital émotif, qui est le
siège de divers sentiments tels qu'amour, joie, chagrin, haine et le reste ; le
vital central, qui est le siège des aspirations et réactions vitales plus
fortes, telles qu'ambition, orgueil, crainte, amour de la célébrité,
attractions et répulsions, désirs et passions de diverses sortes, et qui est le
champ de beaucoup d'énergies vitales ; finalement le vital inférieur, qui est
occupé de petits désirs, de petites sensations, comme ce qui compose la plus
grande partie de la vie quotidienne, par exemple désir de nourriture, désir
sexuel, petits attachements, aversions, vanité, querelles, désir de louanges,
colère à être critiqué, petits désirs de toutes sortes, et une foule
innombrable d'autres choses (163) ».
Mais chez l'homme, à côté de
ces divers plans qui s'échelonnent les uns par rapport aux autres et, pourrait-on
dire, derrière eux, il y a aussi l'âme, « entité psychique subliminale (164) »,
« flamme du Divin toujours allumée en nous (165) », « Moi et Etre suprêmes de
la Gîtâ (166) », dont la « floraison » sur les trois plans inférieurs joue un
rôle capital dans le yoga, car c'est elle qui donne « le saint, le sage, le
voyant (167) », même si le stade final atteint par eux n'est pas encore celui
que Shrî Aurobindo considère comme tel.
C'est cette « âme » qui, comme
l'admet la tradition hindoue multimillénaire, « assume ces naissances mais ne
périt pas quand périssent ces formes (168)» et s'incarne successivement dans
des corps différents. « Nos corps périssent, mais les âmes avancent de
naissance en naissance au cours des âges (169) », notre « personnalité superficielle
construite » n'étant qu'une « expression temporaire de notre âme en soi, une
forme changeante d'elle (170) ». Cette âme elle-même est en quelque sorte sur
le plan microcosmique une émanation de l'âtman immuable, tout comme l'univers
est, sur le plan macrocosmique, une manifestation du Brahman immuable.
Pour compléter ce tableau déjà
si complexe, il faut encore ajouter ce que Shrî Aurobindo appelle, d'un terme
général, le « subliminal ». Celui-ci « a un droit d'accès aux plans mental,
vital et physique subtils de la conscience universelle », il est « en rapports
directs avec la conscience universelle ... derrière le voile de la personnalité
de veille limitée (171) ». Dans ce subliminal, nous avons « un mental
intérieur, un vital intérieur, un être physique subtil ou intérieur plus vastes
que notre être et notre nature extérieurs (172) ».
En ce qui concerne le mental
subliminal, qui n'est pas ce que la psychologie occidentale moderne entend par
ce terme, mais une « conscience plus vaste que notre conscience de surface (173)
», il englobe beaucoup de potentialités et même d'opérations du mental dont
l'homme n'est pas habituellement conscient et qui restent pour lui
subconscientes, intraconscientes, circumconscientes ou supraconscientes (174).
Il est à l'origine d'inspirations, d'intuitions, d'impulsions, et l'on y accède
dans la concentration intérieure, l'extase, et même parfois le rêve, notre ego
n'étant « qu'une formulation mineure et superficielle de la conscience de soi
de ce moi subliminal (175) ».
En effet, Shrî Aurobindo
distingue en nous « deux instruments mentaux : d'une part le mental de surface
de notre ego exprimé et en évolution, la mentalité superficielle créée par nous
en notre émergence hors de la Matière , d'autre part un mental subliminal qui
n'est pas entravé par notre vie mentale présente et ses strictes limitations,
quelque chose de large, de puissant et de lumineux, le véritable être mental
derrière cette forme superficielle de personnalité mentale que nous prenons à
tort pour nous-même (176) ». Ce « mental subliminal en nous est ouvert à la
connaissance universelle du Mental cosmique (177) » ou « Mental universel (178)
». « Dans le subliminal, même élargi jusqu'à devenir la conscience cosmique,
nous obtenons une connaissance plus grande, mais non pas la connaissance
complète et originelle (178 bis) »
Pour faciliter la compréhension
de cet ensemble si complexe des divers « plans » chez l'homme et de leurs
rapports, j'avais demandé à Shrî Aurobindo d'en donner une sorte de tableau
synoptique. Il n'a pas voulu le faire parce que, m'a-t-il expliqué, on
risquerait d'interpréter ce schéma établi par lui comme une sorte de
cristallisation rigide d'une vision trop subtile et trop souple pour être ainsi
figée. Il m'a par contre autorisé à dresser moi-même un tel tableau, qui donc
ne ferait pas autorité, et auquel d'autres disciples pourraient en joindre
d'autres, éventuellement fort différents. C'est ce tableau qui figure en annexe
à la page 329* et que Shrî Aurobindo m'avait autorisé à publier.
Du fait que les plans
supérieurs, comme nous l'avons vu, sont descendus dans les plans inférieurs et
les ont constitués, il résulte qu'ils y sont « involués », qu'ils y existent
potentiellement en une « latence ineffable (179) ». Et par conséquent ils
peuvent, en sens inverse, en « évoluer ». « L'être, la conscience, la force, la
substance descendent et montent le long d'une échelle aux nombreux échelons(180).
» Le but de la création est précisément la remontée de ces plans inférieurs
vers les plans supérieurs, ou plutôt l'émergence, la manifestation en eux de
ces derniers. En commençant par l'accès au plan supramental.
Or, puisque l'homme est l'être
le plus évolué sur le plan le plus haut des trois plans inférieurs, le plan
mental, c'est lui qui semble le mieux qualifié pour manifester le Supramental,
pour réaliser « la suite encore celée de ce chapitre inachevé de l'évolution (181)
». Dans l'ordre naturel des choses, le Supramental devra en effet émerger du
mental, comme le mental a émergé de la vie et la vie de la matière.
C'est le but du yoga de Shrî
Aurobindo, et si l'homme n'y parvient pas, il faudra qu'apparaisse dans notre
monde un autre être qui dépassera l'homme comme l'homme a dépassé l'animal,
l'animal la plante et la plante le minéral. Car « nous ne pouvons pas ordonner
à la Nature de s'arrêter à tel stade de son évolution (182) », et « si l'homme
n'est pas l'instrument divin ..., de même qu'il a détrôné toutes les autres
existences terrestres ... un autre devra le remplacer et assumer sa succession (183)
».
Mais cela est possible à
l'homme, car si le Supramental « nous semble situé sur des sommets bien
au-dessus de nous, ce sont néanmoins les sommets de notre être propre et
accessibles à nos pas (184) ». Bien sûr, « l'idéal de la vie humaine ne peut
pas être seulement de répéter l'animal à un plus haut échelon de mentalité
(185) ». Il y a d'ailleurs des sages qui sont parvenus au-delà même du
Supramental, jusque sur le plan de Sachchidânanda, et Shrî Aurobindo le disait
par exemple de Mâ Ananda Moyî (186).
C'est précisément parce que
Shrî Aurobindo admet cette possibilité, dès maintenant, pour des individus
suffisamment évolués, que sa métaphysique et sa psychologie n'ont pas un
intérêt exclusivement scientifique, mais un but essentiellement pratique. L'une
et l'autre sont à la base du « yoga intégral » qu'à Pondichéry il nous
enseignait.
Dans le domaine de la
psychologie, les distinctions que fait Shrî Aurobindo entre les divers plans
actuellement perceptibles chez l'homme ne sont pas seulement théoriques. Dans
la pratique de son yoga, elles présentent une utilité considérable, car les
disciples arrivent à observer, presque visuellement, chaque plan et ses
multiples subdivisions, et savent ainsi exactement sur quoi ils doivent agir
pour corriger, harmoniser ou développer.
Dans le domaine de la
métaphysique, son analyse du cosmos, du Divin et de leurs rapports et aussi des
plans de conscience auxquels l'homme doit pouvoir accéder trace un itinéraire
précis pour notre évolution et fournit la base d'une technique minutieusement
détaillée.
Ce n'est pas ici le lieu de
décrire ce yoga qui, dans le cadre de sa profonde unité, ouvre à chacun la voie
précise qui lui convient à chaque moment de sa progression. Bornons-nous à dire
que, comme son nom l'indique, il fait appel aux ressources de tous les yogas
connus et les complète en une vaste synthèse. Relevons cependant que la base
fondamentale en est la combinaison d'une aspiration intense avec la descente
correspondante en l'homme de ce qu'en termes de Christianisme on appellerait la
Grâce divine, mais que Shrî Aurobindo voit sous l'aspect de la Mère divine.
Dans ce yoga, action et
méditation doivent se compléter selon un dosage approprié à chaque disciple et
à chaque stade. Le yogin ne doit pas se réfugier dans la méditation, si
authentiques que soient les états sublimes auxquels elle fait accéder. Elle est
certes indispensable pour découvrir et libérer progressivement de ses
apparences le véritable Moi, base statique de notre vie dynamique. Car l'homme
« ne devient parfait que lorsqu'il a trouvé en lui-même ce calme, cette
passivité absolue du Brahman et qu'il en soutient, avec la même tolérance
divine et la même divine béatitude, une libre et inépuisable activité (187) ».
L'action, souligne avec insistance Shrî Aurobindo, « n'a nul effet [limitatif]
sur l'entité psychique au-dedans de nous (188) ».
Celui qui pratique le yoga de
Shrî Aurobindo ne peut pas se contenter de rechercher la « libération » à
l'indienne, cet « idéal médiocre d'une évasion hors du tourment de la
souffrance de la naissance physique (189) ». Il travaille moins pour lui-même
que pour l'humanité — ou, plus exactement, pour le Divin, « pour Dieu dans le
monde et pour le Divin en nous-même (190) », car si « la délivrance d'autrui
doit être ressentie comme essentielle à notre propre délivrance ... la nature
extérieure aussi a droit à la délivrance (191) ».
Vandoeuvres,
novembre 1974
Jean HERBERT
Métaphysique et psychologie, notes:
1. BG 278. — 2. VD 1021. — 3. SYA 25. — 4. VD 174. — 5. EGF 21.
— 6. VD 174. — 7. VD 516. — 8. BG 144. — 9. VD 1426. — 10. VD 708. — 11. BG 116. — 12. SYC fév. 1960, 31. — 13. VD 1451. — 14. VD 1577. — 15. VD
1531. — 16. VD 1529. — 17. VD 699. — 18. Lettre inédite à Jean Herbert. — 19.
VD 698. — 20. VD 190. — 21. VD 47 et 531. — 22. Cf. VD 177. — 23. VD 50. — 24.
VD 702. — 25. VD 1481. — 26. VD 697. — 27. VD 702. — 28. VD 850. — 29. VD 852.
— 30. VD 853. — 31. VD 694. — 32. VD 739. — 33. Cf. VD 126. — 34. VD 494.
— 35. VD 191. — 36. VD 597. — 37. VD
505. — 38. Cf. VD 506 sq. — 39. VD 690. — 40. VD 190. — 41. VD 847. — 42. VD
395. — 43. VD 217. — 44. VD 717 sq. — 45. VD 386. — 46. TU 46. 47. VD 299. — 48.
Cf. Shatapatha Br. et Rig-Véda, passim. — 49. VD 494. — 50. VD 528. — 51. VD
688. — 52. VD 620. — 53. VD 203. — 54. I, 1, 8. — 55. VD 841. — 56. VD 377 sq. —
57. VD 373. — 58. VD 378 sq. — 59. VD 381. — 60. VD 638 et 792. — 61. BY 138. — 62. ML 232. — 63.
VD 818. — 64. VD 831. — 65. VD 809. — 66. LI 137. — 67. VD 133. — 68. VD 273. —
69. VD 264 sq. — 70. VD 281 sq. — 71. VD 284. — 72. VD 271. — 73. VD 296. — 74.
VD 275. — 75. VD 264. — 76. VD 639. — 77. VD 804. — 78. VD 354 sq., 430
et passim. — 79. VD 351 et 469. — 80. VD 255. — 81. VD 747. — 82. VD 260. — 83.
VD 355. — 84. V256. — 85. VD 75. — 86. VD 342 sq. et 397. — 87. VD 306. — 88.
VD 249. — 89. VD 309. — 90. VD 187. — 91. VD 185. — 92. VD 198. — 93. VD 261. —
94. VD 194. — 95. VD 220 sq. — 96. VD 224. — 97. VD 419. — 98. VD 418. — 99. VD
1432. — 100. VD 1436. — 101. VD 418 sq. — 102. VD 484. — 103. VD 471. — 104. VD 431. — 105. VD 423. — 106. VD 483. — 107. VD 425 sq. — 108.
VD 420. — 108 bis. VD 531. — 109. LI 21. — 110. VD 190. — 111. VD 312 sq. —
112. VD 479.— 113. VD 139 sq. — 114. TU 24. — 115. VD 690. — 116. TU 36. — 117.
VD 695 — 118. VD 14. 119. VD 504. — 120. VD 872. — 121. VD 827. — 122. VD 389.
— 123. BG 258. — 124. BG 57. — 125. BG 261. — 126. BG 126. — 127. BG 315. 128.
VD 244. — 129. VD 256. — 130. VD 192 sq. — 131. VD 257. — 132. VD 244 sq. — 133.
LA 144. — 134 BV 190. — 135 ML 327. — 136. ML 237. — 137. VD 350. — 138. VD
252. — 139. ML 237. — 140. MI 237. — 141. VD 621 sq. — 142. LI 133. — 143. LI
128 sq. — 144. ML 236. — 145. LI 276. — 146. VD 622 sq. — 147. ML 236. — 148. ML 236. — 149. ML 236. — 150. ML 169. — 151. VD 254. — 152. ML
266.-153. LI 128. — 154. VD 339. — 155. VD 99. — 156. VD 130 sq. — 157. VD 350. — 158. VD
187. — 159. VD 430. — 160. VD
28 sq. —160 bis. VD 354 sq. — 161. VD 28 sq. —162. VD 287. — 163. LA 129 sq. —
164. VD 329. — 165. VD 335.— 166. VD 756. — 167. VD 336. — 168. BG 231. — 169.
VD 632. — 170. VD 687—17 I. VD 639. — 172. VD 638. — 173. VD 332. — 174. Cf. VD
867. — 175. VD 829. — 176. VD 328. — 177. VD 329. — 178. VD 469. — 178 bis VD
808. —179. VD 484. — 180. VD 385. — 181. VD 459. — 182. VD 13. — 183. VD 346. —
184. VD 185. — 185. VD
75. — 186. Lettre inédite à Dilip Kumar Roy. — 187. VD 48. — 188. VD
687. — 189. VD 52. — 190. SYA 59. — 191. VD 610.
Métaphysique et psychologie légende des notes:
BG
La Bhagavad Gita. traduction par
Camille Rao et Jean Herbert (Paris, Albin Michel, éd. de poche, 1970)
BEP
Bulletin d'éducation physique (Pondichéry)
EGF
Traduction des trois premiers
chapitres des « Essays on the Gîtâ» dans « Texte sanskrit de la Bhagavad-Gîtâ» (Neuchâtel,
Delachaux et Niestlé, 1943)
LA, LB, LC
Lettres Vol. I, II et III (Paris,
Adyar, 1950-1958)
ML
Le mental de lumière. Traduction
faite à Pondichéry in BEP août 1950
VD
La vie divine. Traduction par Jean
Herbert, Camille Rao et Suzanne Forgues (Paris, Albin Michel, éd. de poche, 1955-1959)
SYA
La Synthèse des Yogas,
Introduction. Traduction par La Mère in
BEP février et avril
1958
SYC
La Synthèse des Yogas, chapitres
I, VII à IV. Traduction par La Mère in
BEP février
1958 à 1972
TU
Trois Upanishads (Paris, Albin
Michel, éd. de poche, 1971)
* Tableau
JEAN HERBERT