Le Divin ne s'offre qu'à ceux qui s'offrent eux-mêmes à la Divinité.
Sri Aurobindo


Toutes choses sont des déploiements de la connaissance divine.
Vishnou Pourâna, 2.12.39


Toute la vie est un yoga.
Sri Aurobindo, La Synthèse des yogas - I.




mardi 5 janvier 2010

ASPECTS D'UNE SADHANA

Extrait de "Quelques aspects d'une SADHANA" de
MA SURYANANDA LAKSHMI, ed. Albin Michel, préface de Jean Herbert.

Mâ, ici à l’Ashram de Gretz, en 1971, portant le sari que Shrî Mâ Ânanda Mayî Lui a offert.
(ecclesia-france@orange.fr)



LA MÈRE DIVINE

Déposé en humble hommage à Ses pieds de lotus.


Aditi, la Mère Suprême

La Mère divine est l'œil de la Connaissance. Elle, trône, là, au milieu du front des rishis, de, ceux qui voient la Vérité. Mais Son pouvoir et Sa présence s'étendent à tout ce qui est. A tous les échelons de l'Existence est la Mère.

L'Existence, est Brahman, le, commencement et la fin de tout. Brahman contient tout, Brahman est tout. L'harmonie, de tout ce qui est Brahman, mais Brahman est bien plus encore. Il est la Plénitude absolue, au-delà de laquelle il n'est plus rien de possible, le Délice suprême, disent les Upanishads, l'assouvissement parfait de l'être.

Lorsqu'une infime parcelle, de la Conscience inaltérable de Brahman se condense, apparaît la conscience différenciée, celle de la Mère. Aditi est la Mère divine à Son premier souffle, la Conscience de Brahman à Son premier degré de projection. Portant en Aditi qui est Son plan d'existence le plus élevé, Son sommet d'intensité, la Conscience même de Brahman, la Mère la transmet de, degré en degré à tous les inondes, l'un après l'autre, aux spirituels d'abord, aux invisibles, puis aux visibles, aux plus matériels.

« Aditi est la déesse de l'infini, la conscience indivisible », disent les sages des Védas (Sri Aurobindo, Le Secret du Védas).

[…]

Brahman, l’Absolu, sans l’Amour et l’Ananda qui le projettent en la Mère et Le contemplent en Soi dans une ineffable Reconnaissance de l’Etre entier, ne serait pas Brahman. Car l’Absolu impersonnel ne semble glacé qu’au mental encore troublé par l’abondance et la chaleur des floraisons terrestres. Il est un brasier qui ne consume point ce qu’il brûle, l’immensité d’une blancheur ardente et sereine. Le froid lui-même, les neiges de Shiva, sont des glaciers qui brûlent l’âme et le corps d'un feu plus brillant que la braise.

Tout est flamme et tout est amour, mais non pas notre flamme, et non pas notre amour avec ses distinctions et ses lassitudes. Amour-et-flamme dont la profondeur et la sérénité souveraines, sans un oubli, imposent dans l'Éternité qui est Présence immédiate et totale, sa loi à tout ce qui est. Car l'Éternité est Cela : la Présence où tout est en un instant dans la même Conscience unique. Et cette éternité-là est en chacun de nous. Le samâdhi qui y pénètre nous révèle en un seul et foudroyant flambeau l'Unique, et le, Multiple identiques et parfaits. Tout est Un tout est Un, s'écrie le sage au retour de l'extase. Et son amour que plus rien ne trouble ni n'étonne, s'étend à tout ce qui vit dans l'espace et dans le temps devenus inutiles pour lui.

[…]

La Mère individuelle a une importance primordiale dans toute sâdhanâ, dans tout yoga. C'est Elle, qui appelle, oriente, et guide le sâdhak, marque les étapes spirituelles et agit les Dieux au sein des révélations. C'est Elle l'Ishta qui concentre et condense l'adoration afin de l'épanouir, au travers d'un lent travail, dans la vision. Égale aux Dieux dans plusieurs de Ses prépondérances, Elle leur est souvent supérieure en intensité. Jamais les mots « supérieur » et « inférieur » n'ont d'ailleurs ici la signification du prestige. Les degrés sont des degrés d'intensité de conscience, de, plénitude d'existence et de béatitude. La Conscience totale est en chacun d'eux, mais l'intensité de la manifestation varie. Et l'homme est le Dieu parvenu à l'identification avec la Mère Suprême, atteint Brahman, l'intensité absolue dans l'harmonie parfaite.

Tel est aussi le rôle de l'Ishta, Dieu personnel, projection du Soi individuel dans le divin. La Mère ou le Dieu sont l'Ishta en qui s'exprime, l'effort du sâdhak, la forme en laquelle il se reconnaît et s'oriente aussi longtemps que, son identité avec l'Atman demeure encore inconcevable ou irréelle pour lui. L'Ishta est le pivot de toute la sâdhanâ, le centre rayonnant autour duquel se joue l'évolution de la personnalité qui, du petit ego limité et restreint, renaît progressivement à la personne divine, à l'incarnation qui est le sens et la portée de notre présence ici-bas. L'Ishta capte et fascine notre dévotion, libère notre intelligence, épanouit nos possibilités les plus profondes et les plus grandes. Il nous donne de Dieu l'exacte vision dont nous avons besoin pour que notre adoration soit sincère, pour qu'entre le Dieu adoré et notre prière s'établisse une harmonieuse correspondance, un dialogue limpide et fécond, parce que la base même de notre être en est remuée. L'Ishta est la riposte divine faite à notre ignorance, le chemin par où elle se retrouve peu à peu sous son vrai visage, qui est la connaissance parfaite. Et la Mère est dans l'Ishta quel qu'Il soit. Très souvent aussi d'ailleurs Elle est l'Ishta de Ses dévots.

Les quatre grandes Mères individuelles les plus connues, celles qui se sont manifestées le plus couramment au cours des âges du monde présent et qui, par conséquent, ont été le plus communément adorées sont Ishvarî, Kâlî, Lakshmî et Sarasvatî. Elles ont été admirablement décrites par Shri Aurobindo dans La Mère (Pages 38 à 51).

Chacune d'Elles Se subdivise encore en de nombreuses prédominances de Sa personnalité qui portent elles aussi des noms distincts et réalisent à chaque fois une nouvelle personne divine autonome. Il n'est nullement nécessaire de les dénombrer ou de les connaître toutes avec leurs particularités, ce qui serait d'ailleurs bien difficile à faire. Elles répondent, comme les Dieux et les Démons, aux aspects innombrables de l'Existence, à Ses mouvements, à Ses devenirs. La seule chose qui compte pour chaque individu est de rencontrer Celle qui lui est propre, qui correspond le mieux à sa nature, et de s'abandonner de tout son cœur à Sa haute direction, afin qu'Elle le conduise, à travers les méandres de la vie, jusqu'à la Béatitude.


Parmi les prédominances de la Mère, il en est une, plus troublante que les autres, qui mérite, d'être considérée à part. C'est Mâyâ, communément rendue par le terme
d' « illusion ». Mère splendide, à l'aspect à la fois terrifiant et charmeur, richement ornée, brillante et sombre, broyant la vie des hommes sous Ses ténèbres, noyant leurs yeux de Ses ombres et les désespérant par Ses voiles trompeurs. Et pourtant Elle aussi est le Nirguna-Brahman et le Saguna-Brahman des Upanishad, Elle aussi est le refuge tendre et sûr auquel tout sâdhak peut avoir recours dans sa détresse. Majestueuse et trépidante, railleuse et insaisissable, Elle est pourtant la Connaissance, la Vérité et l'Ananda.

Comment allier tout cela ? Pour l'expérience mystique il n'est point de barrières infranchissables, point d'impossible, point de limites hors Brahman. Et Mâyâ Se révèle à Son adorateur intrépide, aussi bien que n'importe quel autre visage de la Mère.

Lorsque les tumultueux torrents du Gange (Le Gange est considéré dans l'Inde comme le « fleuve sacré » dont les eaux purifient l'âme et disposent ceux qui s'y baignent à la spiritualité) descendirent du ciel pour s'abattre sur le, monde au risque de l'emporter tout entier dans la violence de leurs eaux, le Dieu Shiva, dans Sa méditation, s'interposa, relevant Sa chevelure en un haut chignon afin d'y recevoir le fleuve et de l'écouler plus sereinement vers la terre. Mâyâ est ce geste et cette, méditation. Pleinement consciente de l'éblouissement spirituel qui descend des sommets du Sachchidânanda, pleinement consciente aussi de l'état du monde et de ses facultés, Elle voile pour un temps ce, qui sans Elle nous serait insupportable. Elle enfante notre spiritualité dans le tissu chamarré qu'Elle dispose autour de nous et en nous, dans l'éclat encore inexact dont Elle fait le reflet splendide de la Vérité. Ses apparentes supercheries sont autant de, chemins qui se dégagent de la vie dans la direction du Seigneur. Peut-être est-Elle l'un des aspects les plus puissants et les plus sages de la Mère, l'un des plus indispensables aussi. Mâyâ enivre, et de l'ivresse qu'Elle procure Elle extrait le vin pur de l'extase. Elle est dangereuse et bienveillante. Toute la Connaissance, tout l'Ananda sont en Elle, indomptables et magnifiques. Et les voies de la Vérité sont incalculables en Elle. Nul, en dernier ressort, ne peut se laisser tromper sur Son compte, et Sa gloire particulière est peut-être de consentir au mystère qui plane sur Elle et La déforme longuement jusqu'à ce qu'Elle-même juge l'heure venue de découvrir Son identité avec l'Absolu.


Les apparitions de la Mère.

La Mère individuelle est peut-être la première à Se révéler lorsque le seuil des visions spirituelles est franchi par le sâdhak. Elle apparaît personnellement ou dans l'une ou l'autre de Ses prédominances les plus aisées à reconnaître par le novice. A ce degré de la vie spirituelle, la séparation n'est pas encore très nette entre les activités du mental supérieur déjà tout empreint d'intuitions et la vision spirituelle proprement dite. L'humain y joue un rôle important, et ce seront précisément les apparitions de formes divines répétées qui peu à peu prendront le pas sur la vie mentale habituelle du sâdhak pour finir par la supprimer tout à fait. A ce moment le seuil de la conscience et de l'activité supramentales est véritablement franchi. L'âme divine, qui veille en tout être s'est épanouie jusqu'au niveau du front ; c'est une, autre, existence qui commence. Il est d'ailleurs dit que, bien que les chutes soient toujours à craindre, même pour les Dieux, il n'est en principe plus possible de redescendre à un degré de conscience inférieur une fois le centre du front atteint. Dès cet instant la montée est inévitable parce, qu'en fait c'est l'lshta Lui-même qui l'accomplit selon une progression puissante et infaillible.

[…]


L’UNIVERS DE LA MANIFESTATION DIVINE

Propos général.

Shrî Aurobindo, et bien avant lui, Patanjali dans ses « Aphorismes », disent avec insistance que si les Dieux sont pour l'homme une aide, puissamment efficace sur la voie du yoga, le chemin divin qui conduit à l'Absolu, Ils en sont aussi le piège le plus redoutable. Car leur attrait est indicible et les grâces qu'ils accordent sont inégalables ; mais le yogin qui s'arrête à l'un d'eux s'établit dans une partie immuable et fixe de soi-même au lieu de progresser jusqu'à son épanouissement total, Brahman. Et celui qui se laisse fasciner par un dieu, si grand soit-il, a plus de peine à conquérir Brahman que le ver de terre qu'attend encore une évolution infinie.
C'est pour cela que tout en adorant avec ferveur Shiva, le yogin ne doit jamais cesser de garder présente à sa conscience l'unique et prédominante nostalgie de l'Absolu. Alors son adoration de Shiva, de la Mère ou de n'importe quel autre Dieu le conduira au But de sa course. (L'Enseignement de Ramakrishna, paragraphe 1490 et 1491).

C'est cette notion qu'illustre dans l'Inde le culte que le sâdhak rend à une petite statuette qu'il jette ensuite dans l'eau du Gange. Sa ferveur, en l'adorant, a été entière, mais la conscience que le sâdhak garde de l'Absolu l'empêche de s'arrêter à une forme quelconque de Divinité et il détruit le Dieu auquel il a donné sa foi, qu'il a imploré et qui, bien souvent, l'a conduit efficacement sur la voie, de la libération.

Chaque plan de l'homme correspond à un plan identique de l'Existence dont il est partie et centre ; la conscience étant unique par définition, dès qu'elle se concentre en un point d'intensité particulière, ce point devient irnm6diatement le centre rayonnant du Tout. Le monde des Dieux est le front de l'homme, mais autour de ce front s'étend l'infini du monde des Dieux, ordonné de la même manière.
Chaque Dieu y a Sa place,Sa réalité, Son existence, Il est à la fois intérieur et extérieur à l'homme. Il en va de même pour tous les autres plans. Kaivalya est le nom sanskrit donné à cet état supramental d'être un seul et le centre du Rayonnement total de l'Existence, la solitude spirituelle absolue, la plénitude de Conscience qui est tout et un seul.


Kaivalya est l'état de la Conscience qui plonge dans une, vision cosmique absolument spirituelle. Le sâdhak qui y parvient est libéré des opposés du bien et du mal, du chaud et du froid, de la lumière et de la nuit. Il est le centre unique et solitaire de l'Harmonie qui, de lui, rayonne jusqu'aux confins des espaces infinis, jusqu’aux profondeurs et aux altitudes incalculables. Le monde n’a plus de fin et la dimension propre du sâdhak est devenue démesurée. Il embrasse le Tout dans une intensité de perception et de conscience qui lui fait à la fois saisir le moindre détail du devenir, le mouvement le plus ténu de l’Existence, et l’ampleur de la Vie universelle, la vastitude du destin tout entier. Rien ne lui échappe, il tien tout, il sait tout, il sent tout, il est tout. Et cependant Kaivalya n’est pas encore le degré suprême de la Conscience, n’est pas encore la Mer de lait indéfférenciée, Brahman. Kaivalya est en Satchidânanda une ultime distinction de la Conscience. Le sâdhak y perçoit encore son propre Moi, centre de Tout. Quand cette dernière vibration d’une conscience différenciée aura disparu, ce sera la Plénitude Suprême, non une annulation de l’être, mais sa gloire, son apothéose indiscutable, le retour à la Totalité de Soi, état direct, sans second, état premier qui n’a plus besoin d’être défini pour se connaître.

[…]


Mâyâ.

Dès que l'Apparition d'un monde est conçue dans l'Infini de la Conscience suprême et de l'Ananda suprême, Mâyâ enveloppe l'Atman de Sa robe somptueuse, de Ses voiles multicolores et enchanteurs d'où naîtra Prakriti, une forme d'Elle-même, C'est Elle, qui transmet les Védas à Sarasvatî, afin que selon leur équilibre Elle ordonne les mondes, Car Elle est le Nirguna-Brahman et le Saguna-Brahman des Upanishads et c'est Elle, l'Étoile védique, harmonieuse et infinie sous Ses constellations innombrables. Du sein de Brahman où Elle trône, Mâyâ déverse le charme irrésistible de Sa beauté et de Son jeu. Elle est le principe de la grande lîlâ, l'ordre et la joie du Jeu Divin. Et, des plus hauts degrés de l'Existence qu'Elle domine, jusqu'aux échelons les plus bas, c'est Elle le désir insatiable, l'attrait immortel de toutes choses, la volupté des reconnaissances et l'âpreté de la solitude, des nuits. Tout en haut, c'est Elle la fascination de l'Unité, tout en bas c'est Elle la violence de la recherche, où les corps se retrouvent en s'unissant, où les cœurs, les âmes, les consciences s'étreignent dans la matière pour enfanter inlassablement la vie à la vie, Mâyâ n'est pas chaste. Sans cesse Elle S'offre et Elle Se retire, Se donne et disparaît pour se donner ailleurs. De Ses longs bras Elle noue, dénoue et renoue sans fin les chaînes de la lîlâ du Seigneur, à tous les degrés de l'Existence. Et Son offrande, est le sacrifice purificateur de, l'Existence renaissant toujours de lui-même à lui-même dans un élan unique et invincible vers Dieu, tel que l'a ordonné le Suprême.

Mâyâ est la Mère, sous Son aspect le plus gigantesque. Sa forme spirituelle est très difficile à voir, car il faut pour cela que le yogin soit parvenu au delà du lotus à mille pétales épanoui, en Brahman, et qu'il ait cependant conservé un minimum de conscience différenciée afin de pouvoir distinguer Mâyâ de Brahman. Car en vérité Mâyâ est le Saguna-Brahman et le Nirguna-Brahman des Upanishads. A ce degré et dans ces conditions, Mâyâ peut apparaître, haute et resplendissante, debout sur le sommet de l'Existence entière qu'Elle entraîne dans lé, mouvement de Sa danse vertigineuse. Habituellement Sa forme spirituelle peut se confondre avec l'Étoile des Védas. Elle est l'Étoile des Védas. Car Elle est en Brahman la totalité de l'Existence, son harmonie, son chant. Elle est la saveur de toutes les saveurs, la volupté de toutes les voluptés, l'harmonie de toutes les harmonies, l'Existence de toute l'Existence indifférenciée et différenciée. Seul Soma est au delà d'Elle, car Soma est la Saveur de la Béatitude dans l'Existence suprême indifférenciée, le Délice de l'Absolu. Le yogin qui devient Mâyâ est Brahman. Et lorsqu'à travers Elle il atteint Soma, il a conquis Satchidânanda.

A tous les degrés de l'Existence est Mâyâ, parce que Mâyâ est en Brahman la totalité de l'Existence. On l'a nommée illusion, Erreur et c'est pour cela que les litanies rituelles adressées à la Mère divine disent : «O Toi qui demeures en tout être vivant, sous la forme d'erreur, de peur », etc. En réalité toute, l'Existence est équilibre, cohérence, beauté, perfection, parce que toute l'Existence est Mâyâ. Et dans les régions inférieures où l'équilibre apparaît sous l'aspect de déséquilibre, la cohérence sous l'aspect de désordre, la beauté sous l'aspect de laideur, la perfection sous l'aspect d'imperfection, parce que la conscience et la vision y sont soumises aux lois des conditions matérielles et de la nuit (selon une transformation naturelle et progressive et non pas une déformation, comme on le croit souvent) Mâyâ rayonne dans une égale plénitude de Sa loi d'harmonie védique. Elle apporte à la Manifestation le conditionnement parfait du devenir descendant et ascendant, toujours un et immuable, l'exactitude védique constante de l'Existence.


L'Atman.

Au-dessus de la plage de lumière qu'est le monde des Dieux apparaît l'Atman. Le Paramâtman est Brahman comme le Parapurusha est Brahman. L'Atman est en Brahman le principe de l'âme unique totale et indivisible, comme Ananda, Soma, Sûrya sont en Lui, un avec Lui, l'harmonie des Védas d'où sortiront les univers manifestés.

Depuis le centre où sont liés les mille pétales du lotus supérieur, sahasrâna, jusqu'à la base du lotus du milieu de la base du front, c'est-à-dire jusqu'à Nârada, en un long fuseau mince et droit, sont le jîvâtman (Âme individuelle incarnée) et l'âtman cosmique (Âme de l'univers. Car il y a une « âme» de l'univers (anima, souffle, principe de vie impérissable) comme il y a peut-être une âme de chaque degré de l'Existence manifestée, des âmes-groupes pour les degrés inférieurs).

Ils sont généralement recouverts par Brahmâ, Vishnou, la Mère, confondus à eux. Car en réalité, ils n'ont point d'autre forme, que celle du monde des Dieux, point d'autre nature, que celle déterminée par eux. Ils en fixent l'équilibre particulier et la donnée cohérente continue. Ils en assurent l'unité individuelle et cosmique, tout comme Shiva en détermine l'Unité fondamentale et éternelle. Il existe d'autre part un rapport étroit, intime et parfait entre l'Atman individuel et l'Atman cosmique constant. Voilà pourquoi le yogin qui parvient à la plénitude de sa conscience divine particulière (jîvâtman) réalise aussitôt son unité avec la Conscience cosmique dont il fait lui aussi partie intégrante et dont il devient, de ce fait, le centre, le support et le maître. C'est ce rapport qui explique les « pouvoirs » qui sont fréquemment, sinon toujours, l'un des résultats (secondaires) du yoga. Le yogin, en pénétrant dans la conscience de sa propre nature véritable a pénétré dans la nature du Cosmos et en connaît dès lors les lois dont il s'est rendu maître.

L'Atman est tout et le jîvâtman est tout. Car le monde des Dieux détient, compose et dirige, la totalité de ce qui est dans la manifestation et dans la voie de son retour en Brahman.

L'âme unique, Atman, Se différencie à l'infini exactement comme la Mère qui L'exprime à tous les degrés de l'Existence. En Soi Elle est une, immuable, indivisible et Elle demeure toujours dans la Conscience de Brahman. A mesure qu'Elle, descend et habite, en le suscitant, le Cosmos, Elle revêt des formes diverses et Se divise sans cependant jamais perdre Son unité et Son intégrité. Comme la Mère Elle est Brahman et Le demeure quelles que soient les formes qu'Elle engendre et dont Elle se pare. Cependant ces formes, ces divisions sont réelles aussi. C'est pour cela que les sages ont pu dire qu'il n'y a qu'une seule Âme, Atman, habitant tout l'univers ; et c'est pour cela aussi qu'ils ont pu dire avec tout autant de vérité que l'âme est multiple, qu'il y a une infinité de Purushas distincts.

Dans les régions inférieures de la matière inerte, des plantes et des bêtes, l'Ame, bien que, multiple, divisée, n'est cependant pas encore, nettement individualisée. Elle opère son évolution, en passant, naturellement et selon le dharma de ce plan de l'Existence, d'une espèce à une autre et, à l'intérieur de l'espèce, d'un genre à un autre. Peu à peu son intensité d'expression manifestée (Car en réalité, même là, Sa plénitude est parfaite, Sa lumière intérieure est la môme qu'au sommet de la Manifestation ; seulement cette plénitude, cette lumière sont cachées à la conscience matérielle des êtres) augmente et se fixe, et les sages ont signalé des
« âmes-groupes ».

[…]


L'état de Brahman (samâdhis)
(État d’union avec le Dieu personnel ou de fusion dans le Divin impersonnel, auquel arrive le yogin. Cette extase comporte toute une série de degrés, qui ont été décrits de différentes manières).

L'état de Brahman est la Vision de toutes choses libérée de la tonalité limitée que l'ego donne à la Connaissance. Par opposition à ce savoir égoïste, on le dit « impersonnel » ; mais Il est en réalité d'une nature totalement différente de ce que peut concevoir le mental humain. Il est au delà du personnel et de l'impersonnel, la Conscience stable, absolument lumineuse en laquelle s'élabore le Tout sans aucune omission dans Son Harmonie, sans erreur, sans recul dans Son Éternité qui est la commune mesure de tous les instants, de toutes les durées, un jaillissement créateur continu d'où rayonnent à l'infini sur Soi-même la Vie et l'Ananda.

Brahman est la constante immuable de, l'Existence ; la Mère en est le Fruit unique aux variations infinies. En Elle tout est multiple et un. Et le yoga c'est la sagesse de cette multiplicité et de cette unité. Or tel est l'enseignement du yoga :
« Ne t'émeus ni en joie ni en peine, ni en patience ni en impatience. Sois à tout instant ce qui est, et la durée, et l'espace et la séparation s'évanouiront, car le Délice éternel et inaltérable aura tout envahi. »


Dévas et asuras

Les dévas sont la correction toujours présente dans l'erreur, la possibilité de, rachat toujours offerte dans le péché, la vigilance divine, toujours veillant au cœur de l'obscurité. C'est par eux que dans l'agitation mentale, les triomphes asuriques ne sont qu'illusions, les palmes du mensonge destinées à se flétrir tôt ou tard. Serviteurs de Brâma ils résistent, par leur seule présence, au flot montant et grondeur des râkshasas. Ils se souviennent que dans l'Existence tout est parfait, tout est Brahman. Ils savent que même les asuras font partie de l'Harmonie divine présente partout, car ils sont les remous inévitables de la Conscience privée de Sa béatitude originelle et vouée au travail de la re-Conquête de Soi, dans un Temps et une Distance qu'ils rendent vraisemblables mais qui n'est pas de Sa nature, réelle.

Dévas et asuras assurent l'équilibre sans lequel la vie terrestre, ne serait guère possible ou durable, car, ou bien elle ne serait qu'une infinie Béatitude en Brahman, ce qui l'exclut à l'origine, ou bien elle sombrerait dans une obscurité sans retour. Les uns et les autres sont le Divin, dans l'Unité de la Conception suprême et l'Harmonie de l'expression qui n'a pas de défaut.




LE VERBE CRÉATEUR

Les Védas

On donne le nom de « Véda » aux ensembles d'hymnes qui nous sont parvenus de l'Inde antique : Rig-Véda, Sâma-Véda, Yajur-Véda, Atharva-Véda. Étymologiquement véda signifie « vu », et la tradition hindoue précise que cette vision est hautement mystique et véritable, apanage, des rishis qui ont, par leurs austérités pieuses, conquis l'accès à la contemplation de la Vérité. Ce qu'ils ont vu de cette manière, ils l'ont ensuite fidèlement transmis dans des strophes, des Shrutis, auxquels a été attribué le, nom de Véda.

A notre époque où la notion de la vision mystique est presque totalement perdue pour le commun même des « croyants » se rattachant à une religion pratiquée, et cela bien plus encore en Occident qu'en Orient, le Véda ne signifie plus grand-chose. On y voit une curiosité archaïque, peut-être un monument littéraire à peine aussi respectable que l'Iliade ou l'Odyssée, et le sens propre des textes est simplement négligé pour se voir remplacé par des interprétations symboliques superficielles et inexactes, quand il n'est point raillé parce que, l'intelligence humaine ignore le chemin conduisant aux révélations qui y sont contenues.

Shrî Aurobindo, l'un des grands maîtres hindous de ce siècle, a cependant inauguré, si l'on peut dire, une ère védique et cela, non seulement par sa magistrale étude, du Véda (Le secret du Veda), par les traductions qu'il en a fait en anglais et qui sont destinées aussi bien aux sages mystiques et aux savants linguistes de son pays qu'aux érudits, et peut-être, aux saints de l'Occident dont il pressentait la présence ou la venue prochaine, par l'ensemble de ses écrits, mais par tout son enseignement, par son yoga auquel on a donné le nom de « yoga intégral » précisément parce qu'il englobe la science technique du yoga accumulée dans l'Inde et ailleurs depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, sans distinction de chapelles ou de doctrines, sans établissement d'un credo particulier et exclusif, comprenant une connaissance de l'homme et de ses possibilités aussi vaste, profonde et complète que possible afin de le précipiter dans la plénitude de l'Existence qui est contenue en lui-même et dont il est issu. Car les divers yogas sont les sciences différenciées et spécialisées dont l'Existence et l'homme sont le tout.

Le but de Shri Aurobindo n'est pas la libération de la Conscience hors de l'enveloppe corporelle qu'elle habite et son épanouissement définitif en l'Absolu (Comme ce fût longtemps le but essentiel du yoga) mais bien la spiritualisation et la divinisation de la vie tout entière, de l'esprit, du psychique, du coeur, et aussi du mental, du vital et du physique, de l'inconscient qui les supportent, les alimentent et les complètent. Il s'agit pour lui de, bien autre chose que de conquérir la Béatitude. C'est une vie entièrement et consciemment soumise au Divin qu'il enseigne, une maîtrise de toutes les facultés, de toutes les forces contenues en l'homme, une transformation aussi bien physique, vitale, mentale que spirituelle, afin d'enfanter une génération d'hommes nouveaux capables de se libérer de l'emprise encore si forte sur eux des instincts du physique et du vital, de dominer les éléments inconscients et rebelles à la Voix divine, de les réintroduire dans leur axe de Vie divine, orientée divinement, instaurée divinement à la gloire du Divin, et non plus fourvoyés dans les labyrinthes de l'existence égoïste obscure et sans avenir. L'origine du Cosmos est Dieu, son devenir est Dieu, que son élaboration perpétuée, dans le temps soit divine également jusqu'en ses moindres détails et ses plus humbles manifestations. Que le yogin, revenu des visions puissantes où son être entier a puisé à des sources réellement vivifiantes et pures la Certitude de la Vérité et de l'Amour divins, se, penche, sur l'existence et, patiemment, dépose la perle de lumière sur chaque caillou, sur chaque pétale, chaque brindille, chaque blessure et chaque élan, même le plus infime, afin que la transfiguration commence qui doit faire du corps plus que le temple de Dieu, Son oeuvre à chaque pas, Sa respiration à chaque syllabe, Sa perfection à chaque mouvement, Son épanouissement à chaque labeur. Que l'oeuvre tout entière, soit divine, puisqu'elle l'est dès l'origine et pour l'Éternité ! Que ton corps soit repétri par Dieu ! C'est pour l'humanité que tu peines et que tu souffres, c'est pour l'humanité que tu te veux divin totalement, dans un acte d'humilité incommensurable. L'ego éphémère n'aura plus d'emprise sur toi ; il n'y aura plus sur ta route, debout devant toi comme un flambeau divin, que le Devoir de tous, le Dharma irrésistible conduisant le Cosmos vers son accomplissement divin. Les instincts seront surmontés, anéantis puis transformés en forces nouvelles et pures. Les lois fondamentales de la nature physique et vitale seront assimilées au vaste mouvement de l'Existence élevée vers Sa conscience réelle et souveraine ; les capacités innombrables du mental seront orientées vers l'illumination d'un Savoir sans limites, créateur, éternel. Une ère védique sera née où même les lois de, l'enfantement des formes dans la matière ne seront plus soumises au processus habituel. La conception spirituelle de la matière elle-même en et par l'homme, sera possible, sera l'accomplissement d'un nouvel âge de l'univers.
« Il doit y avoir un moyen de créer l'homme sans recourir à la voie de fécondation animale. » (Bulletin de l’Ashram de Shrî Aurobindo, Août 1949).

Ce que nous enseigne Shrî Aurobindo, dans quelque domaine qu'il engage ses analyses et sa pénétration mystique, est avant tout védique. Et si l'on peut dire, par exemple, que Shrî Râmakrishna, Shri Chaitanya sont plus spécifiquement des « bhaktas », que Shri Shankarâchârya fut plutôt un « jnânin » on peut avancer, dans le même sens, que Shri Aurobindo est avant tout védique bien que lui-même, comme Shri Râmakrishna, se, réclame également des traditions tantriques. Et ici, les chances d'erreurs ou de restriction dans la qualification sont même beaucoup plus minimes, car le terme de Véda recouvre en réalité une acception bien plus vaste que celle des hymnes auxquels on a coutume de le rattacher.

Au delà des hymnes et bien avant eux, au delà de la vision mystique et bien plus véritablement qu'elle encore, est Véda, ce qui est vu dans l'essence même de la Vie à son plus haut degré de perception et d'existence, dans le sein parfait et sacré de Brahman — Purushottama. Véda est la Vision divine dans sa plénitude première ineffable, Sachchidânanda, et l'origine, en elle, de tout ce qui est, avant que cela soit projeté dans la manifestation et une fois que cela est projeté dans la manifestation. Vision éternelle, juste, complète, intégrale, bienheureuse, sans erreur, faculté essentielle de la Conscience, substance de la Lumière, de l'Etre et de la Béatitude. Sans Véda Brahman Lui-même ne serait pas, ni quoi que ce soit d'autre ici-bas ou ailleurs. C'est pour cela qu'il est dit : « Les Védas sont au delà de la Mère, antérieurs à Elle dans la manifestation. Ils sont l'harmonie de Brahman, l'ordre selon lequel est l'Existence et rien ne s'accomplit hors d'eux. Ayant connu cela, la conscience parvient à Brahman. »

Tout Dieu possède Véda, car Véda apporte avec Soi le Mental, le monde des Dieux ; mais Il est plus vaste que lui, la substance -vivante, du Supramental, et si Sûrya, le Soleil, est le grand Dieu védique, c'est parce qu'Il personnifie et incarne pleinement Véda, à tous les degrés de l'Existence, manifestée et non manifestée, parce qu'Il est la Lumière de Vérité de la conscience, la Vision parfaitement pure et exacte de Ce qui Est.

On se demande souvent pourquoi, dans les hymnes védiques, la terminologie est si « concrète », toute chargée de noms d'animaux, de plantes, de rivières, de nuages, de phénomènes cosmiques qui colorent inlassablement les strophes et font d'elles une sorte d'épopée de la terre et des cieux à laquelle prennent part tous les éléments.
« Ces paroles fleuries qui sont dans les Védas », dit la Bhagavad Gîta (chp.II. Versets 42-43).


La réponse à cette question découle tout naturellement de ce qui précède. La vision si haute des rishis quand elle est védique, c'est-à-dire assez puissamment imprégnée de la Vérité, ne rapporte au mental qui la recueille et la transmet plus bas rien d'abstrait ou d'insubstantiel, elle ne crée aucune solution de continuité entre ce qui est l'existence manifestée visible et celle, plus rarement accessible, d'où naît la Vision de Vérité dans la conscience de l'homme. Elle établit bien au contraire un rapport ininterrompu entre tout ce qui est, révèle et reconnaît le jeu progressif d'une sensibilité de Conscience sans syncope au travers de toute l'Existence visible et invisible selon une échelle d'intensité exactement graduée. C'est là d'ailleurs le rôle spécifique des Dieux : façonner la plus haute Vérité en formes de Vie imprégnées d'Elle, quoiqu' inconsciemment, pétrir et préparer toutes les facultés de l'être afin qu'elles portent Dieu jusqu'en leurs moindres devenirs et soient en même temps le canal par où la Conscience remonte, jusqu'en l'Infini. Chaque élément de ce qui est se retrouve à tous les degrés de la Vision védique, mais avec une vibration d'intensité consciente qui varie selon la nature du plan de vision. Ainsi, par exemple une salle remplie de spectateurs peut, par l'effet de la vision d'un yogin et dans cette vision, se transformer totalement : sa lumière, sa couleur, sa substance, même son poids, la consistance de l'air qu'on y respire, sa valeur psychique, dans le monde et dans le siècle sont changés. Le yogin y percevra peut-être une importance et une signification qui échappent complètement aux autres personnes présentes, à moins qu'il ne les entraîne lui-même dans sa vision, ce dont il a le pouvoir. Sans annuler le moins du monde l'existence et la réalité de cette salle telle qu'elle apparaît sur le plan de la conscience humaine avec le rôle et la durée éphémères qu'elle y revêt, la vision l'a placée sous les projecteurs d'une conscience supérieure, plus évoluée, dont la perspicacité est plus grande et plus profonde, et y aura de cette manière décelé, comme sous l'effet d'un microscope et d'un télescope spirituels, ce que l'homme ordinaire ne pouvait y voir. Car les choses sont en même temps sur beaucoup de plans à la fois. La sagacité du regard plus ou moins et diversement exercé, de l'intelligence plus ou moins éveillée qui le dirige en donneront autant de
« points de vue » qui sont tous partiellement exacts. Seule la plus haute Vision peut en dévoiler toute la contenance.


De même les chevaux, les vaches, les rivières des Védas ne sont point des figures de rhétorique ou des habitudes prosodiques situant l'âge historique de leurs compositions. Ils sont védiques, c'est-à-dire qu'ils reproduisent l'essence de la Vision dans sa Vérité.

Sur les plans inférieurs de, l'Existence, le cheval, la vache sont des animaux domesticables utiles à l'homme, les rivières sont les eaux vives, auxquelles s'alimente la terre afin de mûrir le grain. On en peut d'ailleurs donner autant de définitions justes qu'il y a de lieux d'observation. Mais ce qui est exact avant tout, c'est qu'ils sont, sur ce plan-là, l'expression concrète d'un degré de la Conscience Mentale originelle divine.

A ce propos le Mythe de l'Aurore ( Jean Herbert : La Mythologie hindoue, son message, chap. II et IV) où Sharanyu devient jument et enfante avec le Soleil, devenu étalon, trois fils, après quoi, reprenant l'un et l'autre leurs formes authentiques, ils créent l'homme, apporte, un enseignement précis et important. La formation mentale intermédiaire entre la vie divine parfaite et la vie, divine manifestée sur le plan humain, nécessite de la part des Dieux diverses métamorphoses successives dont l'une leur confère une nature et un aspect d'animal. Dans l'Inde les légendes de ce genre abondent. Des Dieux totalement ou partiellement « animaux » sont adorés avec ferveur et beaucoup d'autres Divinités revêtent s'il le faut une forme animale qui leur permettra d'accomplir telle ou telle action déterminée, nécessaire au maintien ou au progrès de l'Univers et de l'humanité. Ces animaux du plan mental divin sont des éléments constitutifs de ce degré de l'Existence. Ils en figurent et en incarnent les puissances et les facultés, la substance harmonieusement ordonnée, ils en déterminent et en fixent les faisceaux d'influence divine et lumineuse, qui vont, en descendant vers le plan humain, y rendre possible la formation parfaite du mental équilibré en vue de toutes ses fonctions. Quelque chose de cette connaissance de la «création continue » de l'Univers, des divers plans de l'Univers entre lesquels il n'est point de solution de continuité, car Tout s'écoule dans le Tout et Tout est à chaque plan totalement mais diversement éclairé, subsiste dans l'art, si dénaturé parfois, de l'astrologie, avec ses mois marqués par l'influence de différents animaux. Au-dessous du plan humain, ces formes se retrouvent encore avec toute la consistance de leur origine mentale divine mais épaissie, alourdie, sous l'emprise d'une vibration de conscience infiniment moins intense, ramenée au rang d’instinct et de soumission spontanée à la Loi immanente.

[…]

Telle est l'œuvre du yoga qui passe pour une bonne partie par le Verbe à tous les degrés de Son incarnation, depuis le bas de l'échelle, dans l'Existence manifestée jusqu'au sommet de la Conscience divine, et plus spécialement, plus consciemment, sur le plan mental de la parole humaine, du japa, du mantra et des hymnes védiques, au-delà de quoi l'activité totale, de l'être devenant de plus en plus purement divine, l'expression de la Vérité et son efficacité dans le monde pourront se traduire sous n'importe quelle forme : enseignement, humble dévouement à son prochain, maternité divine, sacrifice de soi jusque dans la mort, jubilations et adorations mystiques, recherches scientifiques, sannyâsa, ermitage, recueillement silencieux ou altruisme débordant.

Les couches de la conscience verbale qui sont atteintes par le japa, le mantra et les hymnes védiques, sont caractérisées par un rayonnement. Le mot y fait figure de centre à partir duquel s'ordonnent circulairement, comme dans le rayonnement d'un astre, un faisceau continu de « visions » logiquement articulées qui constituent la révélation. Le sanskrit, langue des hymnes védiques, illustre, de façon concrète cette loi de la Vision verbale. On y découvre, pour un même terme, une quantité de significations d'apparence souvent contradictoire qui, en réalité, découlent les unes des autres, se complètent, se précisent mutuellement et, de ce fait, conduisent la conscience qui s'y attache vers une, étape supérieure du voyage spirituel. Les règles et les formes n'y étant pas figées par une grammaire mentale irréversible, il en résulte, au contraire de ce que l'on pourrait penser, une clarté du sens intérieur, un mouvement de création active constante au sein de la phrase et du mot eux-mêmes, non pas une sorte d'imprécise lueur mouvante et floue, mais la lumière vivante d'où naissent le mot et ses Vision divine. La raison, d'abord déroutée, y reconnaît bientôt la source d'un enrichissement inépuisable.
De l'incertitude à laquelle elle se heurte au début et qui, ici, l'assaille sans merci, jaillit ce qu'elle ne peut pas réaliser ou atteindre elle-même et l'oblige donc peu à peu à naître au rayonnement du mot, vision qui la dépasse et l'accomplit en un état de Conscience plus élevé, plus juste et plus vrai. C'est pour cela qu'il est des yogins qui font de l'étude approfondie du vocabulaire sanskrit leur sâdhanâ. La connaissance de cette langue d'authentique sagesse est le seuil, le tremplin, pour la conscience incarnée, de la conquête du Divin en nous et hors de nous.


Conçus et composés de cette manière, nés de Visions divinement révélatrices, les hymnes védiques nous transmettent la puissance créatrice du Verbe de Vérité, de Sa Vision, de Sa vertu purificatrice. Ils nous révèlent et nous apportent le chemin de la conquête spirituelle aussi bien que le prix matériel de cette conquête, l'enseignement, le message éternellement présent dont s'inspire d'âge en âge l'humanité.


Le Mantra.

Le Silence est l'origine des langages et il en est la fin. Le Silence est Brahman. Sur la mer de lait indifférenciée Il plane tel un souffle frais et léger. Il est le climat dans lequel s'épanouit Satchidânanda. Dans le samâdhi le yogin peut Le voir et L'éprouver de façon presque palpable.

Le mantra naît du Silence divin, Il en émerge comme une fleur émergerait de l'étendue absolument lisse. Il y est entendu et vu, par le yogin, c'est-à-dire que la conscience du mantra s'impose à la conscience libérée et pure du yogin en état de concentration et de méditation élevées. De même que le Silence est la condition de toute sâdhanâ et qu'il n'y a pas de yoga, pas de samâdhi sans Lui, il n'y a pas de révélation divine sans mantra. Le mantra est le langage même de Dieu, langage, originel et créateur qui entraîne, immédiatement la création de ce qu'il profère. Et Dieu dit : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut. » (Genèse, chap. I, verset 3). Son de la Vie, direct et actif, éclair de la Conscience, vibration de l'Existence, le mantra porte en lui la puissance divine de l'action. Les anciens rishis en ont retenu et noté un certain nombre qui, depuis des millénaires, permettent à d'autres êtres assoiffés de la connaissance de Dieu, de se diriger sûrement sur la voie du yoga. Ils y appliquent progressivement leur conscience mentale, conquièrent une à une les étapes spirituelles que chaque mantra ouvre en eux et dépassent ainsi en les surmontant efficacement les obstacles innombrables de leur route. Il est des yogins qui durant toute leur vie s'attachent à un seul mantra, le répètent inlassablement, dans le silence de leur cœur ou l'exaltation de leurs chants (Cf. Swâmi Râmdas. Le carnet de Pèlerinage, Paris, Albin Michel, 1953.); il en est d'autres au contraire qui s'attardent tantôt à l'un, tantôt à l'autre, selon l'effort qu'ils ont à faire ou la conquête qu'ils doivent réaliser. Il n'est pas rare non plus que le mantra s'impose de lui-même à la conscience du sâdhak en état de méditation, qu'il se révèle à nouveau, comme aux premiers temps, à celui dont la recherche est pure. Le plus souvent c'est un yogin plus avancé qui le transmet à ses élèves après en avoir lui-même longuement éprouvé l'efficacité. Dans l'un comme dans l'autre cas, ce n'est pas une raison arbitraire qui dicte, la révélation du mantra ; c'est du fond de la Sagesse divine qu'il surgit pour s'épanouir en la conscience préparée de celui qui, divinement aussi, l'appelle, souvent sans le savoir.

Le sage qui enseigne un mantra à son disciple en a reçu l'autorisation du haut de son état de conscience, le meilleur, le plus pur, le plus proche de la Sagesse de Dieu. Le sâdhak qui le reçoit ainsi, de la bouche d'un maître ou du sein d'un éblouissement yoguique, le fait dans un état d'austère et joyeuse piété, de consécration absolue, d'abandon total, quelles que puissent être pour lui les conséquences de la méditation sur le mantra. Car, accueillir dans sa conscience l'activité puissante d'un mantra, c'est se préparer inévitablement à une transformation de son être profonde, fondamentale et parfois complète. L'influence d'un mantra sur le mental, le vital et le physique d'un yogin est certaine, le mantra possédant un pouvoir créateur indéniable, venant de Dieu et ayant pour but unique d'enfanter la Conscience au divin.

Le japa qui découle du mantra, puisqu'il est la répétition d'une parole sacrée, je plus souvent d'un mantra, n'a lui non plus d'autre but que la purification intérieure du sâdhak et non, comme on pourrait le croire en Occident surtout, celui d'entraîner telle ou telle conséquence matérielle ardemment désirée par celui qui s'y applique. L'influence du japa comme celle du mantra est absolument spirituelle. C'est dans, l'esprit d'abord qu'il opère sa transformation, sa naissance à un état de conscience plus élevé et plus pur, et c'est de cette transformation spirituelle qu'il descend pour permettre ensuite des transformations sur les plans successivement inférieurs de l'Existence et de l’être.

Notre objet n'est pas ici de faire connaître quelques-uns des mantras sanskrite authentiques, ni d'en dévoiler les effets sur la conscience et dans la vie immédiate, pour la raison très simple que le mantra doit rester un secret yoguique et qu'il serait imprudent d'en parler trop ouvertement à qui n'y est pas encore p réparé.

Une notion devenue de plus en plus claire et certaine depuis que Shri Aurobindo a passé parmi nous, laissant dans son sillage tant d'études écrites d'une grande portée et d'un enseignement que sa présence avait commencé par rendre véritable, réel et donc accessible à d'autres, praticable par d'autres, est que la transformation de l'homme par le yoga (et Shri Aurobindo donnait à ce mot un sens à la fois infiniment vaste, infiniment profond autant que précis, sans établir de mur ou de comparaison entre les diverses croyances religieuses du monde) n'atteint pas seulement la vie spirituelle, psychique et mentale, de l'être, mais tout aussi efficacement le vital et le physique et cela dans le microcosme aussi bien que dans le macrocosme : l'univers et l'homme sont appelés à se diviniser totalement, à reprendre conscience de leur divinité complète, absolue, et à la projeter dans l'Existence telle une floraison lumineuse d'activités parfaites. Certes le but peut paraître téméraire et l'entreprise audacieuse ; il n'en est pas moins vrai que Shrî Aurobindo a rendu possible de telles transformations spirituelle, mentale, vitale et physique en son propre, être, et en celui de plusieurs de ses disciples. (Cf. Correspondance de Shri Aurobindo).

L'expérience a été faite et peut dès lors être, vérifiée, c'est-à-dire revécue, par d'innombrables êtres au cours des âges, de même que l'expérience religieuse, des anciens rishis a déjà été vérifiée, revécue, par d'innombrables êtres dans les temps écoulés jusqu'à nous et de nos jours encore. La Conscience cosmique enfante, divinement l'activité des mondes, la Conscience humaine est destinée à un pareil épanouissement, et cette Conscience englobe la totalité de l'être, sans omettre les univers du vital et du physique.

Le rôle du mantra est d'éclairer cette transformation, de marquer les étapes et d'enfanter le mental à un pouvoir d'intelligence divine. Non pas pour s'échapper de l'emprise limitée de la conscience mentale, mais pour créer dans la pâte de la vie un mouvement, une tournure matérielle de la Conscience divine immaculée, une expression purifiée dans le sein même de l'Existence telle qu'elle nous est donnée actuellement.

Car le, mantra est une expression d'Etre et de Vérité qui peut se projeter dans n'importe quelle forme de l'Existence. Il est la fibre, matérielle qui, du Silence divin, relie tous les langages de la Vie manifestée au Verbe divin originel et créateur.
Avant le samadhi, il est l'effort pour surmonter telle ou telle difficulté intérieure, tel ou tel obstacle ; après le samâdhi, il est l'accomplissement naturel du progrès souhaité par le sâdhak et désigné en lui par Dieu. Avant, il est le travail de transformation qui s'éclaire peu à peu dans la conscience mentale et spirituelle s'éveillant à l'Existence de Vérité, il est la purification de l'être ; après, il est, dans cette transformation et cette purification réalisées et établies, l'épanouissement de la Joie et de l'Activité divines obtenues.

Le mantra est le guide, et le révélateur. En fait, nul sâdhak ne progresse sans lui, nulle Écriture sainte, n'existe sans lui. Car il est né du Verbe immédiat de Dieu, efficace et direct, et il ignore les entorses de la parole mentale, ses faux-fuyants, ses biais, ses calculs. Il est l'acte créateur divin fait Verbe, et à cause de cela il est incommensurablement éloigné de notre conscience mentale habituelle et puissamment capable de nous en libérer.


Les Tantras.

Aum Shrî Ganapatâye namah.

I
1. Le Yoga est infini. Il ne s'enferme dans aucune des formes qu'on lui donne, mais il leur prête seulement à toutes son grand souffle de Vérité. On pourrait aussi l'appeler le, Maître de la Création.
2. Ayant modelé toutes les choses telles qu'elles sont, dans leur nature et l'articulation libre et vigoureuse de leurs lois, Il a rétabli la Perfection Unique du retour permanent en Soi.
3. Son Ananda est la maîtrise qui détruit l'esclavage et exclut le doute. Il est calme, sans palpitation, sans limite et sans faiblesse. Il connaît tout dans l'exactitude de sa piété.
4. Véda est contenu dans le Yoga et Il lui est soumis, mais Tantra n'est pas hors de lui.
5. Par une dévotion constante, ininterrompue, et par la répétition des noms du Seigneur, se flétrit manas, le mental inférieur qui se nourrit de passions ; alors s'épanouit buddhi, l'intelligence qui retourne à Brahman.
6. Que celui qui étudie le Yoga l'efface, aussitôt de sa mémoire, qu'il n'en garde en lui aucune, syllabe, aucun nom, et il aura conquis de cette manière la Vérité de Tantra.

II
1. L'Existence est Esprit. Tout ce qui s'exprime à partir d'Elle, sommet de Son intensité, naît d'abord de l'Esprit et s'organise selon l'épaississement progressif de Sa Conscience.
2. Celui qui, pas à pas, détourne sa Vision des choses, conquiert la Plénitude. Mais habituellement, l'homme ne connaît pas la nature de l'Esprit. On Le nomme Brahman, on Le nomme Dieu ou Shiva, Il est au delà de toute désignation.
3. Rien de ce qui est ne Lui est inconnu, et cependant Il est bien au delà de l'expression infinie qui Le voile. Le secret de la Vérité est plus profondément caché que le sein de la terre. Mais seul le doute au cœur de l'homme est un voile impénétrable.
4. Il est le Son total dont la vibration rythmée est sans limite. Il vogue sur le flot de, Sa propre Félicité lumineuse, exhalant la science à jamais spontanée de Son savoir. Principe et Plénitude de tout ce qui est, Il échappe à toute analyse et la Voix est Son instrument.
5. Il se subdivise en millions d'échos de Soi et Il demeure inchangé. Il n'est étranger à nulle naissance et Il demeure sans naissance.
6. Il n'enfante jamais, Il n'exprime jamais, Il est Ce par rapport à quoi tout peut prendre forme.
7. Substance de toute vie, Il n'est point la vie ; substance de toute forme, Il n'a point de forme ; substance de toute parole, Il n'est point la parole ; substance de toute divinité, Il n'est point les Dieux.

III
1. A l'origine fut l'extase, la Vision donnant à la Connaissance Son nom et souhaitant dès lors un cantique à Sa plénitude. Car il n'est qu'un seul hymne de Félicité, un seul Chantre vers qui s'élève la Vérité et s'organisent en mille voix les servitudes.
2. A l'ultime degré inférieur, fut la matière épaisse, l'enveloppe splendide où l'être est prisonnier des désirs.
3. Portant au fond de toi la conscience de cela, détourne ton regard de la magnificence des mondes et gravis les sept monts du détachement. Tel est le chemin du salut.
4. D'abord vient l'affranchissement des empreintes extérieures, l'éveil de la conscience par la base de l'être incarné, l'homme lui-même enfantant Dieu, dans la profondeur de son intelligence secrète. Le septième kosha s'enroule, de la plante des pieds au sommet de la tête où il s'évapore, emporté par les vents de l'esprit. Alors apparaît la pureté dans le coeur et s'allume la première clarté de l'âme.
5. La notion du sexe disparaît. L'homme est supplanté par Dieu en sa puissance de création infinie. La sixième enveloppe de l'être s'enroule, de la plante des pieds au sommet de la tête, où elle est évaporée par les vents de l'esprit. Le bourgeon lié des désirs se flétrit et à sa place s'épanouit la fleur de mansuétude.
6. Puis viennent la maîtrise du nom et de la forme, et la conquête du temps. Le souffle de vie et le souffle de mort sont exactement équilibrés et dominés. La cinquième enveloppe de l'être s'enroule, de la plante des pieds au sommet de la tête où elle est évaporée par les vents de, l'esprit. Et le yogin pénètre dans la joie.
7. De là naît l'adoration dans le cœur. Dieu en l'homme reconnaît Dieu et L'accepte comme sa seule Vérité. La qua¬trième enveloppe de l'être s'enroule, de la plante des pieds au sommet de la tête, où elle est évaporée par les vents de l'esprit. C'est le lotus de Hanumân ouvert sur la cendre, des passions. Le yogin pénètre dans la sérénité.
8. Manas meurt. La parole est retournée dans le Silence. L'homme distinct de Dieu n'est plus. La troisième, enveloppe de l'être s'enroule, de la plante des pieds au sommet de la tête, où elle est évaporée par les vents de l'esprit. Le yogin pénètre dans la Connaissance.
9. La deuxième enveloppe de l'être s'enroule, de la base du front au sommet de la tête. Du fond de l'Existence la Lumière jaillit, se fixant entre les sourcils. La contemplation remplace l'interrogation. Le yogin pénètre dans la Vision ; même les yeux ouverts sur le monde, il voit la Vérité invisible.
10. La première enveloppe de l'être est détruite à son tour. Le yogin pénètre, dans la Fusion. Il goûte la Félicité.
11. Au delà est l'Activité suprême, immédiate, constante et éternelle, faite de la Conscience de Dieu, de Sa puissance de création infinie, de la maîtrise dans la joie, de l'adoration dans la sérénité, de la Connaissance, de la Vision et de la Félicité, à jamais libre de tout cela, Principe et Substance de tout ce qui est dans la Plénitude immuable de, Soi.
12. Sache que l'échelle des sept montagnes doit être parcourue et reparcourue, des millions de, fois, d'incalculables façons différentes, jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans la Conscience exacte des choses.


Commentaire.

Le dépaysement est une essence profonde du yoga. L'ordre, donné jadis par Dieu à Abram prend ici tout son sens et toute son ampleur: « Laisse là tous tes biens et va dans le pays que je te ferai connaître. » Lent voyage de, retour à la patrie véritable, à la terre de bénédiction. Et parmi les Textes sacrés que possède l'humanité actuelle, ce sont peut-être, les Tantras qui ont le plus fortement mis l'accent sur cette loi fondamentale du yoga. Il en est d'autres, les formules du Dharma divin sont illimitées. Mais celle-ci est particulièrement nécessaire à l'homme tel que nous le connaissons aujourd'hui.

Les textes tantriques sont hermétiques, fort peu connus et souvent mal compris ; cependant de grands maîtres tels que Shri Râmakrishna et Shrî Aurobindo se réclament d'eux et cette référence nous suffit. Le premier en a donné une appréciation saisissante et exacte : « Védas et Purânas doivent être lus et écoutés, mais il faut agir d'après les préceptes des Tantras.»
(L'Enseignement de Râmakrishna, S 877.)


Le yoga tantrique à d'infinis aspects. On y a compté soixante-quatre sâdhanâs, on en pourrait compter tout aussi bien mille, dix mille ou davantage ; il y en a autant que de formes de vie dans le monde que nous connaissons et dans d'autres. Le yoga est unique, mais il épouse tous les modes de la Création ininterrompue dont nous sommes des éléments, toutes les définitions, toutes les ébauches, toutes les réussites partielles et tous les élans, pour en faire la pâte dont il est le levain, le tronc nouveau dont il est la sève et la mort. En ce, sens le yoga tantrique comprend en soi tous les autres yogas ; il en est non pas la synthèse mais le Tout, à la fois l'essence, le cheminement et le but, prodigieusement universel et humain dans son emploi de toutes choses et plus austère peut-être encore que d'autres en sa consécration à la conquête de l'Absolu. Pareil ou identique au Créateur Lui-même, il façonne les formes en nous, leur assigne à la fois leur rôle spécifique et leur sens éternel, détruisant et recréant sans cesse, afin que soit conquise la terre de notre pleine conscience et de notre absolu consentement.

Il n'y a pas de douceur dans le yoga tantrique et même la tendresse de la dévotion y prend une figure forte de maîtrise et de piété lumineuse immobile. Visage immaculé où pas un pli ne se discerne, la piété tantrique contemple non pas hors de soi ou devant soi la Divinité toujours à l'œuvre, mais dans la profondeur d'une intimité sans expression, sans forme, où toutes choses sont dans leur vérité, avec la hardiesse consciente d'une vision sans défaillance. La Béatitude qui en résulte implique la totalité de l'être, la plénitude de la Conscience en toutes ses variations et dans le sommet immuable de Sa capacité. Toutes les couches de l'Existence, en sont imprégnées, purifiées, transfigurées dans la beauté sans erreur d'une activité nouvelle où se forgent et se parfont interminablement les éléments des innombrables naissances de l'âme. Car l'Ananda Absolu est la création qui n'a pas de fin, l'activité sans bornes et immédiate où l'être et son devenir sont Un, où la Conception et Ce qui est conçu demeurent éternellement dans la Joie l'une de l'autre. Et c'est à ce très haut principe justement que le yoga tantrique demande le fondement de sa loi et le mode de son travail. C'est pour cela qu'il importe tant au yogin qui le suit de savoir oublier aussitôt la vision, la conscience nouvelle dévoilée en lui, afin que l'ascension vers l'Absolu soit constante qu'offre à chaque instant la totalité des Le Divin éternel et immuable n'est pas une Immobilité. Par rapport à nous, c'est la possibilité permanente d'une expression de Soi. Par rapport à Soi, c'est la Joie complète d'une Plénitude infaillible.

Le Yoga peut être considéré de haut en bas, la descente divinement graduée, selon les modes de l'Immuabilité, et de, bas en haut, travail de la reconstitution harmonieuse et totale selon les lois du Sacrifice irréversible.
Il est un plan de création originelle à toute chose. Dieu, Brahman, Purushottama sont les noms de l'Inaccessible que le mental en se dépassant redécouvre Objet unique de sa connaissance. La conscience qu'il en a n'est dès lors plus mentale et s'achemine vers la vastitude d'une conception de Soi infinie.

Ce qui ne peut plus être dépassé par rien est l'Immensité à qui rien n'échappe. On le dit éternel, immuable, suprême, parfait, lumineux en Soi, existant en Soi. C'est Ce qui descend en toutes choses à partir d'une contemplation de Soi originelle, dans une infime partie de Son être. Cette parcelle distancée de Soi emporte en elle le mouvement de l'Origine, le Rythme inassocié du Tout au Tout qui est Un. Car s'il est une plénitude mystique qui est un néant, mort de toute forme et de tout nom afin que rien ne raie la Vastitude totale et immuable, l’Origine de Tout n’est pas ce néant. Elle en émerge, glorieuse, supramentale, joyeusement libre de tout ce qui nous a reconduit à Elle, tandis qu’Elle Se voilait à nous au travers de Sa progressive révélation. L’élan de toutes choses recueilli par l’espace est parti de là et nul n’en changera de direction. Le son était la voix, le rythme avant la vie, ma parole avant le langage. L’association prodigieuse et l’harmonie sans faille ne doivent rien au monde qui les voit et les incarne sous nos yeux. Le spectacle de Soi n’est pas inconcevable à l’âme. Libéré des enveloppes mentales, rendu au plein pouvoir de son essor, il est forgé de mailles somptueuses dont l’Invisible sait le prix. L’élan est neuf toujours dans le Moment qui n’a point de second. La profondeur est habitée et elle habite le savoir. Le divers est fait d’unité et l’unité est faite d’infini. Le cycle créateur des âges est un jeu de Son Jeu, mouvement découpé et ralenti de Son Esprit toujours simultané.